QUAND VIENT L'AUTOMNE

Un film de François Ozon

Le lourd passé des amanites

Retraitée paisible dans un petit village de Bourgogne, Michelle peut toujours compter sur le soutien de sa meilleure amie Marie-Claude pour égayer son morne quotidien. Le jour où sa fille Valérie vient lui rendre visite pour la Toussaint et lui déposer son fils Lucas pour la semaine de vacances, un tragique imprévu vient obscurcir le tableau et réveiller les souvenirs du passé…

Où diable est passé le cinéaste habité et transgressif de "Sitcom" et de "Sous le sable" ? Si l’on se pose de plus en plus la question à chaque nouvelle proposition de cinéma, c’est parce que l’on sent une perdition qui ne cesse d’aller en grossissant, et de façon un peu aléatoire. Sans aller jusqu’à tutoyer l’échec au sens propre, "Quand vient l’automne" révèle surtout à quel point celui que l’on a longtemps qualifié (à tort ?) d’enfant provocateur de l’auteurisme à la française s’est non seulement assagi dans l’expression d’un ton singulier, mais aussi et surtout affaibli dans son polissage d’une forme auparavant des plus sophistiquées. Dans le cas de ce nouvel opus, on aurait pu s’imaginer, au vu de son cadre provincial, de son affiche et surtout de son postulat amorçant une intrigue familiale sur fond d’empoisonnement, qu’Ozon viserait à lorgner sur les platebandes du thriller chabrolien à la sauce "Merci pour le chocolat", avec le champignon en lieu et place du cacao. Or, sans trop spoiler sur un film dont la bande-annonce cachait bien son jeu (c’est assez rare pour être salué), le résultat, en fin de compte, n’est ni plus ni moins qu’une nouvelle itération des principes narratifs de "Swimming Pool", dont il finit hélas par devenir la plus parfaite antithèse qui soit.

D’aucuns trouveront matière à juger le film « vénéneux » et, à vrai dire, on ne leur donnera pas tort. Loin d’un quelconque jeu de massacre sur fond de règlement familial, Ozon s’en tient ici à creuser une situation faussement calme, mettant en exergue le poids douloureux du passé (ici à visage multiple) chez plusieurs personnages potentiellement « toxiques » et la façon dont ce passé va peu à peu contaminer et véroler les rapports intimes. Le tout évidemment conditionné par une valise de non-dits (il y a toujours un « secret » à cacher), de sous-entendus (une phrase à double sens peut résonner autrement chez autrui) et de hors-champs (ce qui n’est jamais « montré » est donc sujet à caution). Mais là où la mise en scène de "Swimming Pool" tirait profit de son apparente désinvolture solaire par un système de coupes et de choix d’angle qui encourageait la lecture fantasmatique (ce qui nous poussait ainsi à devenir le « créateur » du film lui-même), celle de "Quand vient l’automne" ne suscite pas le moindre trouble à force d’expliciter chaque enjeu et d’assécher chaque début de malaise. Pour tout dire, lorsque le passé polémique de l’héroïne se voit dévoilé à mi-parcours au détour d’une discussion, on finit par s’interroger sur la capacité de sursaut d’un tel récit. La suite ne fait que nous donner raison : il n’y a plus rien à creuser, juste une situation pseudo-tordue que l’on suit de façon pépère comme on observe passivement la chute des feuilles mortes en plein mois d’octobre.

Côté casting, il y a aussi pas mal à (re)dire. D’entrée, on ne tirera pas mécaniquement notre chapeau au sujet de la prestation d’Hélène Vincent, dans la mesure où cette excellente actrice ne prouve rien ici que l’on ne sache déjà sur la précision de son jeu, à cheval entre la fragilité qui émeut et l’opacité qui intrigue. De ce fait, elle partage avec Ozon un point commun : ce n’est pas en se reposant sur ses lauriers que l’on peut espérer susciter la surprise et/ou révéler de l’inédit. Pour le reste, entre une Balasko qui fait du Balasko (plutôt bien), un Pierre Lottin qui singe le prolo gouailleur et inquiétant, et une Ludivine Sagnier en fille aigrie et ingrate que l’on ne cesse de traiter mentalement de tous les noms à chaque ligne de dialogue, le casting s’en tient à entretenir une prestation tenue, régulière, qui finit par faire ton sur ton avec l’anonymat constant de la mise en scène. D’ailleurs, autant (en) finir sur ce dernier point. Le reproche que l’on fait de plus en plus à Ozon, à savoir celui de vider fréquemment sa mise en scène de toute audace en matière de cadre et de découpage, n’est en effet pas prêt de s’atténuer. A force de combiner la facture visuelle d’un téléfilm informe au rythme d’un reportage terroir de France 3 Bourgogne, "Quand vient l’automne" échoue constamment à faire sourdre un début de désordre au sein d’une structure trop ordonnée. Ni cruauté ni incision ni provocation ni émotion à glaner dans ce cinéma retraité. Juste des gouttes d’eau tiède sur des pierres tremblantes.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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