MAXXXINE
Ti West Side Story
Années 80. Quelques années après avoir été l’unique survivante d’un carnage lors d’un tournage de film porno en pleine cambrousse texane, Maxine Minx est devenue une star de films pour adultes. Or, elle aspire à être actrice hollywoodienne et réussit à obtenir le rôle principal d’un film d’horreur. Mais au même moment, un mystérieux tueur traque les starlettes d’Hollywood et, pour une raison étrange, semble déterminé à dévoiler le sombre passé de Maxine…
Les exégètes n’auront pas manqué de faire chauffer leurs meilleures cartouches pour célébrer cette conclusion de la trilogie de Ti West, alors autant faire de même en optant pour une nuance qui, dans un premier temps, a de quoi nous faire plaisir. C’est que "MaXXXine" tend à valider une hypothèse qui ne cessait jamais de grossir en amont sans qu’on puisse en être totalement certain : si l’intérêt est ici de parachever l’envol artistique de quelqu’un, c’est moins celui d’un jeune prodige du cinoche horrifique contemporain que celui d’une extraordinaire actrice qui a réussi – sans doute malgré elle – à chiper à ce dernier le rôle du metteur en scène. Après avoir embrassé un double rôle casse-gueule (la jeune proie faussement ingénue d’un côté, la vieille peau faussement expérimentée de l’autre), Mia Goth laisse enfin exploser l’ambivalence ange/démon qui habitait jusqu’ici son personnage, et ce jusqu’à prendre les pleins pouvoirs de la pulsion narrative et maniériste du projet – chaque scène est ainsi guidée par ses actes imprévisibles, par sa posture plastique ou par son troublant schéma mental. Conçu à l’image de "Scream 3" comme l’apothéose en plein territoire hollywoodien d’un trajet horrifique jusque-là régi par des codes à servir et/ou à transgresser, "MaXXXine" se retrouve hélas un peu le cul entre deux chaises : tout à fait convaincant et honorable sur la pure mise en pratique d’ordre technique (Ti West sait tout faire, c’est indiscutable), mais aussi convenu et attendu sur un programme laissant transpirer une subversion qui n’en a désormais plus que le nom.
Au fond, Ti West fait ici tout ce que l’on pouvait attendre de lui pour cause de programme déjà fixé en long, en large et en travers par "X" et "Pearl". Rien d’étonnant d’y retrouver de nouveau la multiplication des arabesques de l’âge d’or hollywoodien (cadrages, bande-son, lumières néon, photo vintage, typographie du générique) en lien direct avec l’époque visitée et les sombres atmosphères de bas-fonds héritées de tout un pan du slasher urbain 80’s – les âmes d’Abel Ferrara et de William Lustig sont ici omniprésentes. Pas surprenant non plus, après le trop-plein de simili-Douglas Sirk (en mode sanglant) qui retapissait chaque cadre de "Pearl", de sentir ici l’ombre envahissante d’"Eve" de Joseph Mankiewicz, et ce par le biais d’une double citation bannissant tout autre angle de lecture (démarrer le film par une célèbre phrase de Bette Davis et l’achever par la chanson culte de Kim Carnes est déjà un auto-commentaire en soi). Sans oublier l’idée la plus risquée : jouer la carte désormais éculée de la mise en abyme au sein de décors hollywoodiens identifiables en moins d’une seconde, un peu comme si un demi-siècle de perspectives signées de cinéastes travaillés par la question – de François Truffaut à Quentin Dupieux en passant par Wes Craven et Spike Jonze – n’avaient jamais existé. Ce dernier effet, pourtant, n’est semble-t-il pas ce qui semble motiver Ti West, étant donné que la scène en question – une traque dans le décor du fameux motel de "Psychose" – s’arrête aussi vite qu’elle avait démarré. Du coup, qu’est-ce qui l’intéresse vraiment là-dedans ?
Contrairement à ce qui caractérisait "X", on peine à retrouver ici cette matière subversive qui visait à transgresser tous les poncifs d’un genre conditionné par ses figures humaines et ses partis pris maniéristes. Osons dire que "MaXXXine", en plus de s’imposer comme l’opus le plus « sage » de cette trilogie (ce qui est tout de même difficile à croire !), a davantage valeur de récitation d’éléments codifiés sur lesquels la série B a fait son beurre depuis trop longtemps. Rien de neuf à relever sur l’impitoyable ascension d’une jeune proie/prédatrice n’ayant pas froid aux yeux (Paul Verhoeven a déjà fait le tour de la question avec "Showgirls"), sur la saloperie inhérente à un cosmos hollywoodien plus carnassier et dégénéré tu meurs (ce n’est pas un hasard si l’on cite ici James Ellroy au détour d’une réplique) ou même sur ce gros missile anti-puritanisme porté par une sous-intrigue fonctionnelle de serial-killer dont les esprits les plus attentifs auront grillé l’identité et le climax final au bout d’un quart d’heure. Si la satisfaction reste au rendez-vous vis-à-vis du parcours d’une actrice aussi incandescente que son alter ego, le bilan en demi-teinte est également de la partie : une héroïne sans (re)père dans un film avec trop de (re)pères. Une fois encore, c’est Mia Goth qui ramasse tout, obsédée à l’idée de ne jamais voir s’arrêter le tourbillon qu’elle a elle-même engendré.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur