THE BIKERIDERS
Sins of Anarchy
Interrogée par un jeune journaliste, Kathy, jeune femme au caractère bien trempé, raconte comment sa route croisa un jour celle de Benny et de la bande des Vandals, gang de bikers dirigé par le charismatique Johnny. Son récit met en lumière une relation toujours plus conflictuelle sur fond de dérive d’un groupe soudé vers une forme de voyoucratie accueillant tous les paumés de la société…
Jeff Nichols, c’est un peu une sorte de James Gray de poche. Soit un auteur fasciné par la prégnance des paradoxes de la société américaine, dont le cinéma se voit caractérisé par une colonne vertébrale invariable d’un film à l’autre (ici une vraie fascination pour les marginaux/prolétaires mis au ban de la société), mais dont le vivier cinéphile, prégnant d’un film à l’autre, peine parfois à transcender le matériau. De "Take Shelter" à "Loving" en passant par le très beau "Mud", on a toujours pu ressentir quelque chose d’instable chez cet auteur, tout en se disant qu’il finirait bien un jour par trouver sa voie. Savoir que "The Bikeriders" traînait au fond d’un tiroir depuis plus d’un an et demi pour cause de distributeur ayant pris la poudre d’escampette (Disney en l’occurrence), avait de quoi intriguer, surtout au regard d’un univers brûlant – celui des bikers – dont on pensait avoir fait le tour depuis un bail via l’excellente série "Sons of Anarchy". Après avoir vu la bête, difficile de ne pas se placer en opposition à bon nombre de critiques, lesquels prétendaient voir dans cette adaptation du roman-photo éponyme de Danny Lyon la preuve d’un cinéaste enfin libéré de ses influences les plus encombrantes, alors que le résultat n’est ni plus ni moins qu’une énième itération du schéma rise and fall à la sauce Scorsese (on pense surtout aux "Affranchis"), dans laquelle la communication horizontale du monde des bikers prendrait le relais de la structure pyramidale des milieux de gangsters italo-américains.
Témoigner de l’exclusion sociétale d’un groupe constitué lui-même de ceux qui se sentent exclus du reste du monde (donc sans utopie ni repères), et procéder ainsi par le biais d’une jeune épouse qui s’est toujours sentie elle-même exclue de ce groupe, était un angle on ne peut plus pertinent. Encore fallait-il qu’au sein de cet angle, la vision de la galaxie biker ne se limite à la récitation littérale de tous ses propres poncifs. Si l’on peut légitimement se sentir frustré – pour ne pas dire carrément s’emmerder – de contempler des spécimens de motards qui correspondent tous à la photo mentale que l’on se fait d’eux, on ne s’attendait pas en revanche à ce que le ton choisi – lequel naît d’un principe d’interview justifiant la structure en flash-back – carbure aux plus gros sabots qui soient. C’est bien simple : dans "The Bikeriders", il n’y a pas un seul caractère pour rattraper l’autre. En gros, ça picole non-stop, ça se cherche des noises en permanence, ça se défie aux poings ou au couteau, ça se fait brutaliser sans pleurs ni émotion, ça fout le feu aux bars comme au bitume, ça prétend établir des règles tout en proclamant le refus de toute règle, ça frime avec une clope dans une main et une bière dans l’autre, ça exhibe son fétichisme du blouson et du guidon, ça fait vrombir le moteur toutes les dix secondes, etc… Et sinon, quid de la dimension sociétale et subversive que représentent ces outsiders de la bécane ? À vrai dire, c’est tout juste si le dernier quart d’heure lâche quelques bribes d’infos sur la question, dès lors que le groupe se voit menacé d’implosion sous l’effet d’une jeune génération encore plus paumée et incontrôlable. Mais en dehors de cela, on se croirait dans une cour de récré avec un collectif de poivrots timbrés qui font la nique à tout ce qui rentre dans leur champ de vision.
Peut-on trouver de l’intérêt à suivre une fuite en avant aussi convenue dans un film qui se limite à une linéarité scénaristique qui l’est tout autant ? Si la mise en scène de Nichols s’était faite vectrice d’un réel souci d’immersion et de viscéralité, on ne se serait même pas posé la question. Mais vu que le cinéaste illustre et schématise au lieu d’incarner et de contextualiser, les jeux sont plus ou moins faits, et l’évidente maîtrise du cadre et du découpage (ici très musical) n’y change rien. Tristesse, aussi, de constater à quel point le casting s’est visiblement senti obligé de tout miser sur la simple présence physique, donc sur tout ce qui dessine au lieu d’incarner. Faisons vite et simple : un timbre de voix nasillard et une unique expression faciale pour Tom Hardy, une tripotée d’œillades sexy et une posture criante de sous-James Dean pour Austin Butler, un indélébile sourire crispé et un accent terrien du Midwest à se pendre pour Jodie Comer. Cette belle affiche à trois têtes reflète bien ce qu’est le film : une coquille vide qui prend la pose sans réussir à s’imposer. Un peu comme une bécane luxueuse dont on n’aurait même pas envie de retenir la marque et les caractéristiques techniques après l’avoir essayée.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur