JULIETTE AU PRINTEMPS
Lenoir livre un film lumineux !
Juliette, dessinatrice pour des livres de jeunesse, revient quelque temps dans l’Ain, dans la ville de son enfance, où elle retrouve les différents membres de sa famille : son père, un homme simple qui vit désormais seul ; sa mère, une peintre exubérante qui a refait sa vie ; sa grand-mère, dont la mémoire commence à flancher mais qui conserve son franc-parler ; et sa sœur aînée, coiffeuse et mère de famille au bord de l’explosion…
Blandine Lenoir enrichit sa filmo de réalisatrice en développant une nouvelle variation de son canevas favori : un récit semi-choral, composé d’une galerie de protagonistes hauts au couleur qui gravitent autour d’un personnage féminin central. Si son premier long, "Zouzou", était assez chaotique et si on pouvait reprocher à son troisième, "Annie colère", de revêtir un certain classicisme formel, "Juliette au printemps" apparaît comme la concrétisation d’un équilibre délicat puisant dans les caractéristiques de ses précédents films. Adaptant une BD de Camille Jourdy (dont l’œuvre la plus connue a déjà été portée à l’écran : "Rosalie Blum"), la réalisatrice prend grand soin de ses personnages et ne force le trait qu’aux moments opportuns, pour des moments de folie libératrice, qui alternent de manière étonnamment fluide avec une mélancolie émouvante.
Ainsi, on peut à la fois hurler de rire devant les jeux sexuels insolites de la sœur avec son amant (grandiose duo composé de Sophie Guillemin et Thomas de Pourquery, qui apportent aussi de la sensualité à des corps charnus très rarement érotisés de la sorte) ou avoir des frissons lorsque Juliette (Izïa Higelin, une nouvelle fois très juste) découvre une vérité familiale qu’elle avait enfouie au fin fond de sa mémoire et comprend alors beaucoup de choses sur ses proches et sur elle-même (en même temps que nous, d’ailleurs, qui pouvons réinterpréter tout ce qui a précédé). Alors que Noémie Lvovsky campe à nouveau une femme pleine d’emphase (on a quand même un peu peur qu’elle se soit enfermée dans cette typologie), l’éternellement attachant Jean-Pierre Darroussin déploie la subtilité infinie de son jeu pour incarner un père pudique et tendre qui cache sa tristesse derrière son humour et sa gaucherie (parmi ses scènes, on retiendra celle, poignante, où il chante à tue-tête, seul, en écoutant "Le Pieu", reprise par Marc Robine d’une chanson contestataire catalane). Liliane Rovère, Éric Caravaca et le méconnu Salif Cissé (récemment vu dans "La Vie de ma mère") complètent un casting où chaque interprète parvient à exister sans perturber le collectif ni faire dévier la trame principale (Juliette reste au centre du récit).
Sensible et drôle, "Juliette au printemps" émeut profondément tout en donnant une furieuse envie de croquer la vie à pleines dents et de profiter des gens qui nous entourent ! En fait, Blandine Lenoir réussit quelque chose de trop rare : un feel-good movie qui nous met aussi les larmes aux yeux. Plein d’amour, d’humour et d’espoir, le film ne manque pas de thématiques plus ou moins dures : le deuil, la dépression, la démence, la charge mentale, le divorce, la solitude... Aborder tous ces sujets sans que l’on ressorte l’esprit plombé, ça fait un bien fou ! Car le long métrage est libérateur sur bien des choses : la sexualité, les secrets de famille, la création artistique (saluons au passage l’apport du dessin), la place des femmes… Et quand il se termine, on aurait envie d’entrer dans le film pour partager des moments avec ces personnages si attachants.
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur