VINGT DIEUX
Un film délicieux (sans parler du comté)
Totone, 18 ans, fils de fromager dans le Jura, vivote entre ses copains et les fêtes de village. Quand son père décède brutalement dans un accident, il se retrouve du jour au lendemain à devoir s’occuper de sa petite sœur de 7 ans et d’un certain nombre de dettes. Une idée lumineuse commence alors à germer en lui : celle de réaliser le meilleur comté de la région et de remporter le gros lot avec…
En voilà une histoire délicieuse. Et en voilà une région peu cartographiée par le cinéma français, avec de beaux accents qu’on entend bien peu si l’on n’a pas de franche-comtois dans son entourage. Sachez donc que "Vingt dieux" se prononce en traînant le « in » sur deux syllabes et qu’il est, dans la région, aussi utilisé que le plus familier bien que plus vulgaire, « putain », que l’on entend partout ailleurs. Le héros de cette histoire qui utilise beaucoup cette expression, c’est Totone, un garçon fêtard de 18 ans, sur le dos duquel tombe soudainement une sacrée tonne de responsabilités.
À la mort brutale de son père, Totone doit tout reprendre en main : la charge d’un foyer dont il ne sait que faire, sa petite sœur de 7 ans dont il s’occupe avec à peu près le même instinct, et le moyen de gagner suffisamment d’argent pour les faire vivre. Avec son physique d’adolescent, on pourrait donner 15 ans à Totone s’il n’avait pas cet air de vouloir arracher l’oreille du premier qui l’embêtera. La débrouillardise il semble avoir cela dans le sang, et le voilà qui se persuade de réaliser le meilleur comté de la région pour gagner la médaille d’or et le gros lot qui va avec. Si l’idée est sublime, elle est aussi un délicieux prétexte (au même titre que le fromage) pour nous montrer ce que c’est de vivre en milieu rural quand on a vingt ans et qu’on sait accoucher des veaux. Dans cet environnement, on se lève à cinq heures du matin et on se couche à 22 et il vaut mieux s’habituer vite à ne pas trop s’en plaindre si on ne veut pas en plus s’attaquer le moral. Ici, la campagne est bien plus qu’un paysage : c’est un gagne-pain. Pas d’histoire de communion avec la nature, on traverse les routes au milieu des champs avec tous les moyens de locomotions possible plus qu’on ne les regarde : en tracteur, en camion laitier, à mobylette - avec ou sans la petite sœur accrochée au siège arrière, un casque trop grand sur la tête.
Si on a l’impression d’en apprendre autant sur cet environnement, c’est parce que la réalisatrice, Louise Courvoisier, sait de quoi elle parle. "Vingt dieux" a été tourné dans sa ville natale, à Cressia dans le Jura, et son casting est composé de jeunes du coin, des acteurs et actrices non professionnels qu’elle a castés sur place. Clément Favreau qui interprète Totone est, hors des plateaux, éleveur de volaille, quand Luna Garret qui lui donne la réplique, travaille dans une ferme laitière. On comprend mieux, alors, d’où vient tout l’amour qui circule dans ce film tendre, sincère, et drôle tout en réussissant à montrer la dureté de la vie rurale et des situations traversées par les personnages. Une mention spéciale pour le rapport frère/sœur qui monte en puissance au fur et à mesure du film, jusqu’à une scène de dégustation de fromage à s’en fendre le cœur. Prix de la jeunesse dans la compétition Un Certain Regard au Festival de Cannes 2024, c’est un film à savourer donc, sans modération.
Amande DionneEnvoyer un message au rédacteur