ASSEMBLAGE
Le vertige du vide en plan-séquence
Un soir, dans un bar VIP de Paris, plusieurs personnes se croisent. Chaque individu a ses propres projets et les autres peuvent être des obstacles…
La promo du film insiste sur une auto-proclamation : il s’agirait du plus long plan-séquence de l’histoire du cinéma français. Une telle mise en avant est à double tranchant : il faudrait en effet que le film soit à la hauteur du défi, mais aussi qu’il y ait autre chose à proposer que cette simple prouesse. Surtout que la comparaison avec des prédécesseurs ne manquera pas de venir, et il va falloir encaisser le choc : côté français, le récent "Jour de gloire" diffusé sur Arte a déjà plus de gueule, et c’est encore plus vertigineux si l’on pense à "L’Arche russe" ou à "Birdman" – même s’il faut admettre que le budget n’est pas le même (et que ce dernier dispose de coupes habilement cachées).
Ainsi, l’ambiance nocturne et l’introduction très « club » peuvent initialement faire penser au remarquable "Victoria", sorti en 2015. Or, "Assemblage" (qui est aussi le nom du bar du film) n’atteindra jamais la grandeur du film de Sebastian Schipper, que ce soit pour la technique, pour le scénario ou pour l’interprétation. C’est d’ailleurs sur ce dernier point que le bât blesse assez rapidement, car c’est souvent poussif : Julien Romano surjoue le pseudo-mafieux exhubérant (n’est pas Al Pacino qui veut), Constantin Leu est mécanique et fade, Charlotte Landoy a l’air blasée… Même si quelques-uns s’en sortent un peu mieux, comme Luke Stratte-McClure et Helene Jin, ils ne font pas oublier l’ensemble du casting.
Il faut dire que les interprètes ne sont pas aidés par leurs personnages et leurs répliques, très souvent stéréotypés. Les dialogues creux s’enchaînent, tout comme les moments de gêne ou de flottement (un comble, quand un film dure à peine 1h30). On peine à trouver quelque consistance dans les va-et-vient, et les enjeux restent brumeux (certes de façon volontaire, car on nous promet explicitement un « twist », qui s’avère lui aussi décevant !). Les agissements peuvent même laisser perplexe, comme lorsqu’un couple quitte le bar et a l’outrecuidance d’aller jusqu’à la place des Vosges située à proximité (le plus long trajet du film…) : leur déplacement n’ira pas plus loin car un coup de téléphone conduit l’homme à dégainer son ordinateur portable en pleine rue pour résoudre un problème professionnel d’ordre boursier (énième enjeu fumeux qui arrive comme un cheveu sur la soupe pour un résultat très peu cinématographique), puis le couple fait étonnamment demi-tour pour revenir dans le bar.
Hormis les quelques sorties dans la rue, toute vraisemblance est annihilée par le choix d’un espace réduit : un bar de taille moyenne comprenant un sous-sol ainsi qu’un étrange et inutile atelier pourvu d’une verrière donnant sur les tables du fond… Avec une telle promiscuité, il est assez peu crédible que des protagonistes puissent ignorer certains actes ou discussions (ne serait-ce que la médiocre scène de départ sur fond d’adultère dans le sous-sol). Mais là n’est pas le plus gros problème : à force d’enquiller les platitudes, on n’a pas l’esprit assez occupé et on se demande régulièrement ce que font les personnages hors-champ ! C’est sur ce point que se situe la plus grande faiblesse du scénario : dans un tel défi de plan-séquence, il convient de penser en amont à ce que font les personnages quand ils quittent le champ de la caméra. Or, ici, la caméra trahit parfois ce vide d’écriture quand on aperçoit, le temps d’un mouvement, un individu qui ne fait rien (au mieux pas grand-chose), un peu comme les personnages non jouables des jeux vidéo qui attendent que l’on vienne interagir avec eux !
Finalement, alors même qu’il était l’atout maître de la promo, l’unique plan-séquence est également un échec en trahissant les défauts du film. Ce ne serait pas dramatique si le réalisateur ne manifestait aucune intention autre qu’un pur exercice technico-stylistique, mais Sofiene Mamdi semble avoir une certaine prétention auteuriste, comme en témoignent par exemple une réplique d’Alex (Julien Romano) citant Luis Buñuel (rien que ça !) ou la tentative explicite d’intégrer un peu de réalité dans la fiction avec un personnage de réalisateur (Constantin Leu) qui aurait précédemment fait un film intitulé "Spiral" (tiens, le titre du précédent – et premier – long métrage de Mamdi !) et qui explique à son actrice qu’il aimerait mêler sa vie privée à son scénario. En considérant les agissements dudit personnage envers les femmes ou le fait qu’il fait produire son film par un malfaiteur, on peut même se demander ce que Sofiene Mamdi veut nous dire de lui-même ou de son métier. Ce qui finit d’achever ce film…
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur