MONKEY MAN
Attention chérie, ça va trancher !
Un homme fait la plonge dans un restaurant réservé à l’élite de la ville. Il prétend s’appeler Bobby. Le soir, c’est le même homme qui enfile un masque de singe sur un ring. Entre ses deux boulots, Bobby est un homme en colère. Et sa rage se mue peu à peu en vengeance. Une vengeance qui pourrait bien bousculer l’ordre établi des choses…
Alors que le cinéma d’action des grands circuits se contente d'actionneurs décérébrés (au pif, "Fast X" et "Bullet Train") et de Keanu Reeves et ses chorégraphies millimétrées dans la saga "John Wick", on sent comme une uniformisation du genre. Et ce n’est pas pour minimiser ce que les deux ex cascadeurs David Leitch et Chad Stahelski ont accompli après un cinéma américain d’action qui n’arrivait pas à se réinventer, avec leur shaky cam héritée de la Saga "Jason Bourne" qui faisait à force plus cache mystère qu’autre chose. Merci à eux bien entendu de nous avoir permis de revenir sur des scènes d’actions très lisibles, en plan large presque pictural avec des mouvements millimétrés.
Mais le problème à Hollywood c’est que quand quelque chose marche, on va le dupliquer jusqu’à l’épuisement. "John Wick" avec ses nobles intentions a accouché de plusieurs rejetons plus ou au moins honorables (du pire, "Atomic Blonde" de David Leitch justement, au moins pire avec "Nobody") et nous a laissé, nous amateurs de films où les poings cognent et le sang coule, un peu frustrés. La notion d’impact étant vachement réduite avec une sur-esthétisation des combats, ou devenant artificielle à cause d’un déluge d’effets spéciaux (oui Vin, c’est toi qu’on regarde), nous commencions à regretter le temps du diptyque "The Raid" de Gareth Evans qui comportait cette notion d’impact.
Après "Farang" de Xavier Gens l’année passée, c’est au tour du comédien Dev Patel (qui s’est fait connaître notamment dans "Slumdog Millionaire" de Danny Boyle, en 2008) de passer pour la première fois derrière la caméra. On le retrouve au scénario, pour délivrer sa manière de concevoir un bon uppercut. Et nous pouvons remercier la boîte de production Monkey Paw, appartenant à Jordan Peele ("Get out", "Nope") pour avoir sauvé ce premier film. Produit et revendu en premier lieu pour être diffusé sur la plateforme Netflix, qui abandonna le projet, c’est finalement la boîte de production du réalisateur qui posa son dévolu dessus. Et on ne peut que comprendre pourquoi Jordan Peele a eu le pif pour ce métrage.
Dev Patel nous propose un premier film avec une trame résolument classique mais à forte charge symbolique, émotionnelle et politique. C’est là qu’on sent la connivence entre les deux hommes, avec comme principe de s’approprier le film de genre en toile de fond de quelque chose de plus grand. L’ouverture nous expose l’un des mythes dont l’Inde a le secret , l’homme-singe Hanuman avec la mère du héros en conteuse au bord d’une rivière. Avec cette introduction sensible, une caméra flottante, qui se perd dans les corps et le remous, le film donne un ton différent à son épopée vengeresse. Ce moment de plénitude sera vite contrebalancé par la séquence de combat qui suivra, toute en brutalité sèche, avec une caméra qui joue des effets d’accélération, se faufilant sous les jambes des deux combattants.
Pour un premier film évidemment que l’imagerie est parfois trop soulignée (notamment avec les flash-back, le mythe de l’homme singe) mais on sent une véritable envie de faire passer ses émotions et ses éléments narratifs exclusivement avec la force d’un plan et du montage. L’envie constante de nous immerger dans l’esprit de ce protagoniste qui transporte en lui la rage et le chaos, et de nous faire voir son point de vue, prévaut sur quasiment tout le long des deux heures de l’aventure. Le film le retranscrit avec des moments suspendus qui sortent notre (anti ?)-héros de ses actions pour nous signifier la grandeur de son trauma et le chemin qu’il lui fait prendre. Une histoire de vengeance certes, mais au bout d’une heure, et après une première tentative infructueuse d’assassinat sur l’un des antagonistes de l’histoire, le métrage semblant proposer une alternative à cette quête destructrice. Et si elle servait un dessein plus grand ?
Ce n’est pas là le parcours initiatique le plus original de la décennie, mais il est exécuté avec une sensibilité à fleur de peau, comme en témoigne le choix des situations. Si le personnage de Dev Patel se fait secourir par un groupe, il sera représenté par les Hijras qui n’est autre que la communauté trans en Inde. Même si depuis 2018 le pays a décriminalisé l’homosexualité, il n’empêche que certaines minorités encore aujourd’hui sont victimes de discriminations ou sont en voie de disparition comme les Hijras. Ce choix n’est évidemment pas anodin, il est là autant pour sa charge politique contre un système qui célèbre des fausses idoles-hommes-dieux et laisse les personnes qu’ils considèrent marginales mourir dans le caniveau.
Aussi naïf soit il sur le papier de croire que c’est en flinguant les grands de notre monde que les choses iront mieux, on ne peut qu’être embarqué dans cette quête universelle de l’opprimé contre l’oppresseur qui peut à l’heure actuelle, sur plein de contextes et de sujets différents, nous toucher. C’est aussi ça le cinéma : nous renvoyer un miroir de notre monde pour y apposer un regard. Qu’importent les gros sabots utilisés ici et là tant l’ensemble bénéficie d’une vraie sincérité d’approche. Cet homme seul a besoin de sortir de sa recherche égocentrique pour essayer d’aller plus haut et plus loin. Pas étonnant donc que le climax soit construit en niveau à monter, que ce soit avec l'ascenseur ou avec les différents salons de clubs à traverser. Ceci, pour finir quasiment sur un toit, avec vue sur la ville.
Ces liens sincères que le personnage établit avec les outcasts de cette société qui part en vrille, permettront in fine de terminer sa quête et celle de ses congénères. Malgré l’ambiance poisseuse qui en résulte (géniale direction artistique et superbe photographie de Sharone Meir pleine de vitesse, d’énergie et de flottement), le film se veut incroyablement rempli d’espoir. Pour un premier film, avec distribution presque entièrement indienne (hormis Sharlto Copley vu dans "Distric 9", qui cabotine merveilleusement bien), des combats pensés comme de vrais cheminements psychologiques carburant à une puissance cinématographique qui puise ses inspirations formelles dans ce qui se fait de mieux dans le genre, c’est une belle réussite, à souligner en gras par les temps qui courent.
Notons l’utilisation d’une bande sonore intéressante où Jed Kurzel (au hasard "Alien Covenant" en 2017 ou le "Macbeth" porté par Fassbender) crée ici des dissonances entre les séquences d’actions brutales et une musique très aérienne et pesante. Hormis les musiques intradiégétiques au métrage ("Rivers of Babylon" pendant une baston d'ascenseur, on est toujours preneur), le film fait le choix de la retenue. Toujours à souligner le passage chez les Hijras avec entraînement à la "Rocky" sur fond de tam-tam enflammée. Impossible de faire mieux que "The Raid 2" de Gareth Evans (2014), "Monkey Man" se maintient quand même bien haut dans le panier et signifie à lui seul que Dev Patel a pris sa petite revanche sur un système qui ne voulait pas de lui. Il n’a pas attendu qu’on lui donne son "Inspecteur Harry" (de Don Siegel, 1971), il a décidé de prendre les choses en main, de revêtir son masque de singe et de débarquer sur le ring. Attention, ça risque de laisser des traces !
Germain BrévotEnvoyer un message au rédacteur