CONCRETE UTOPIA
L’épicentre du chaos
À la suite d’un puissant séisme qui a transformé Séoul en champ de ruines, les résidents du seul immeuble encore debout se tournent vers un mystérieux officier et une infirmière débordée pour surmonter la crise à venir, laquelle fait de leur immeuble une cible de choix pour les sinistrés aux alentours, tous en quête d’un abri et de nourriture…
On a longtemps estimé, depuis son retour en grâce au début du troisième millénaire, que le cinéma coréen avait désormais chopé la première marche du podium – et ce n’est pas le carton planétaire de "Parasite" qui allait contrer ce point de vue. Reste que, comme avec tout système cinématographique soumis à une logique industrielle sous l’effet du succès, les « sous-produits » n’ont pas tardé à pointer leur pif au pays du Matin Calme, laissant apparaître la normalisation, voire la crise créative, sous les apparats d’une production rentre-dedans. S’il est loin de tutoyer le bas du panier, "Concrete Utopia" exhibe à son tour un nouveau signe de cette tendance. On ne met en effet pas plus de vingt minutes à déceler, sous ses allures de gros blockbuster local, une énième relecture de Sa majesté des mouches, solide en matière de tension et de mise en scène, mais inégalement convaincante quant à ses ressorts scénaristiques. Pour résumer l’affaire, après qu’un énorme séisme ait transformé Séoul en un gigantesque champ de ruines, seul un bâtiment issu d’un vaste complexe immobilier tient encore debout, ce qui force fatalement ses résidents à protéger l’immeuble des sinistrés aux alentours, prêts à tout pour trouver abri et nourriture.
Inutile d’argumenter sur tout ce qui va forcément suivre (isolement sociétal, autocratie prégnante, chasse violente aux squatteurs « étrangers », divisions internes, rébellion amplifiée…) car la vraie question qui se pose réside ailleurs : si Séoul n’est plus un espace vivable, pourquoi ses habitants ne prennent-ils pas la poudre d’escampette hors de la ville, là où les ressources devraient en principe rester abondantes ? C’est ainsi que le film d’Um Tae-hwa s’enferme sans réelle pertinence dans un canevas de thriller oppressant en vase clos, certes politiquement fort – et même assez pince-sans-rire – sur les divisions sociales et le retour des instincts primaux, mais peu crédible au vu de l’environnement visualisé. Un effet qui ira même jusqu’à se prolonger dans la conclusion, forcément pessimiste mais que l’on taira malgré tout, et qui nous laisse à penser que le percutant "The Divide" de Xavier Gens, basé sur le même principe de division et de survie, avait visé infiniment plus juste en se limitant à un cadre de huis-clos sans oxygène et sans espoir.
Au moins, l’étude de caractères qui semble exclusivement intéresser Um Tae-hwa tient très bien la route, et ce au travers de malins flash-backs qui viennent fréquemment relancer les dés du récit et enrichir le tout par des sous-intrigues sujettes à quelques surprises narratives – on retiendra surtout celle centrée sur le très ambigu personnage de délégué joué par Lee Byung-hun. Rien de mémorable en soi, mais assez pour assurer un bon grand huit de violence et de virulence qui met les nerfs à rude épreuve et impose mine de rien quelques questionnements intéressants sur un corps social soumis aux pires épreuves.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur