LE VIEIL HOMME ET L'ENFANT
Le vieil homme et l’amertume
Un vieil agriculteur se retrouve exproprié de sa ferme. Obligé d’emménager en ville, il se lie d’amitié avec un jeune garçon. Une rencontre qui va bouleverser leur quotidien…
Pour les plus cinéphiles d’entre nous, le titre de l’œuvre de Ninna Pálmadóttir renvoie à un classique du cinéma français, dans lequel Claude Berri contait l’arrivée d’un enfant juif auprès d’un couple de personnes âgées durant la seconde guerre mondiale. Ici, pas de remake à l’horizon, même s’il sera également bien question d’une amitié intergénérationnelle. Gunnar est un agriculteur ayant vécu toute sa vie sur la même ferme, au milieu de l’immensité des paysages islandais. Mais en raison d’un projet de barrage hydro-électrique, celui-ci se voit exproprié, obligé de fuir en contrepartie d’une somme d’argent plus que rondelette. Le voilà désormais égaré au cœur d’une banlieue anonyme de Reykjavik, où son seul point de repère sera le jeune voisin de dix ans, livreur de journaux du quartier à ses heures perdues.
Dans ce microcosme où toutes les maisons se ressemblent et les êtres semblent interchangeables tant la communication entre eux est réduite au strict minimum, le sexagénaire se sent plus seul que jamais, bien plus que lorsqu’il avait pour voisin ses bêtes et les pâturages inhabités de cette terre volcanique. "Le Vieil homme et l’enfant" est avant tout un film sur la solitude, sur ce sentiment pas nécessairement corrélé à la densité urbaine de sa zone de résidence. Beaucoup penseraient que quitter cette thébaïde était une opportunité inespérée pour ce paysan un peu robuste. La réalité est bien plus contrastée, à l’image d’un métrage qui avance en permanence sur un ton nuancé, où le mélodrame et les séquences tire-larmes n’ont pas leur place.
D’abord capturée comme une rencontre bienveillante entre deux individus délaissés par le reste du monde, la banalité de ce rapprochement va progressivement interroger. L’écart d’âge, la négligence des parents, leur proximité… Presque inconsciemment, notre regard appelle au drame, rejetant l’idée d’une fable humaniste dans cette société précisément de moins en moins altruiste, où les frontières sont érigées en garde-fou contre la misère de l’univers, où l’heure n’est pas à l’accueil mais au rejet de ces populations victimes des pires traumatismes. Le film, de par une mise en scène sensible et subtile, va joueur avec les codes du thriller, laissant planer le doute sur une double lecture du récit, jusqu’à la révélation d’un quiproquo à la tournure tragique.
Porté par un Thröstur Leó Gunnarsson, impressionnant de charisme et d’intériorité, ce premier passage derrière la caméra de Ninna Pálmadóttir est une vraie réussite, saisissant avec pudeur les dérives anodines du quotidien aux conséquences bien plus cruelles que celles engendrées par les élites. Sans héroïser ou diaboliser ses protagonistes, la réalisatrice esquisse une intrigue troublante, non pas tant pas leurs agissements, mais d’autant plus par le contexte contemporain dans lequel s’inscrit l’action, dans cette époque rongée par des maux qui sont venus chambouler nos craintes et nos certitudes. À ce titre, l’évocation du sort des migrants est tout sauf un effet de mode. Terminant sur une note d’espoir, et teinté d’onirisme, "Le Vieil homme et l’enfant" est une des très belles surprises du moment, rappelant qu’il n’y a pas besoin de multiplier les artifices pour émouvoir, et que la fatalité n’est pas une vérité absolue.
Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur