LA BASE
Des chauffeurs de taxi aux prises avec les mutations de leur métier
Ouverte en 2008, la base arrière numéro 1 de l’aéroport Roissy- Charles de Gaulle accueillait jusqu’à 800 taxis, en attente d’être dispatchés sur les différents terminaux. Mais fin des années 2010 celle-ci devait déménager, afin de doubler la capacité, jusqu’à 1500 taxis, dans un contexte de vieillissement des chauffeurs, pour beaucoup issus de l’immigration, et d’angoisse liée aux évolutions du métier, qui pourrait bien disparaître. Certains s’expriment ici par smartphones interposés, montrant ces lieux à part…
Prix des Jeunes Ciné + à Cinéma du réel 2023 et Mention spéciale du Prix des Écrans documentaires d'Arcueil 2023, "La Base" est un documentaire à part, dans sa forme comme dans son propos. Donnant la parole à ses propres sujets, Vadim Dumesh a en effet choisi d'embarquer les chauffeurs de taxis dans leur propre représentation, en leur permettant de se filmer avec des smartphones, voire de se mettre en scène, dans ces lieux à la fois isolés et grouillants : l'ancienne et la nouvelle base arrière de l'aéroport Charles De Gaulle. Il a ainsi travaillé avec douze chauffeurs, mais dans le film, seulement 3 personnages principaux et quelques personnages de second plan se dégagent, le dispositif étant ponctuellement donné à voir, par un échange avec le réalisateur, ou l'assistance de celui-ci dans le positionnement du téléphone, leur permettant de s'adresser directement aux spectateurs, et de lui montrer aussi ce qu'ils souhaitent.
Parmi ces personnages, il y a Ahmed, d'origine marocaine, qu'on accompagnera à la fin lorsqu'il décidera enfin de raccrocher. Surnommé « le jardinier », il symbolise à lui seul l'appropriation de ces lieux comme endroit de vie (avec le jardin partagé qu'il entretient et l’arbre qu’il déplace avec lui), mais aussi le fossé avec les nouvelles générations. De lui viendra la réelle émotion du film, marquant la peur de la fin d'un métier, mais aussi l'ouverture vers une autre vie. Il y a aussi Jean Jacques, moins à l'aise avec l'objectif, mais qui apparaît comme la mémoire des lieux. Il est celui qui exprime le mieux la fatigue et le stress liés à ce travail, surtout dans la capitale. Il y a également une femme asiatique, Mme Vong, qui se transforme sous nos yeux en une sorte de vraie-fausse influenceuse, transmettant son bonheur d'être là, avec un travail. Entre eux, de longs travellings sur les lieux (filmés lors de la fermeture liée à la pandémie de Covid 19) permettent d'en évoquer l'ampleur, mais aussi la désertification potentielle avec la disparition du métier, la nécessité de l'homme derrière le volant semblant questionnée.
Mettant en avant le côté « vivre ensemble » de l'ancienne base, malgré son côté vétuste, avec le partage du couscous à l'arrière d'un véhicule, les jeux de boules ou de ping pong, la cantine, le film met aussi l'accent sur la solitude qui guette et que l'on éloigne comme on peut (ce chauffeur khmer qui se lance, seul, dans un karaoké dans son habitacle...). Derrière tous ces portraits, plus ou moins esquissés, il est donc question aussi bien d'immigration et de lien avec un autre pays, de conditions de travail et de perspectives peu réjouissantes (la concurrence des chauffeurs de VTC et le démarchage sauvage des compagnies en lien, l'arrivée - imaginée ou non - des premiers véhicules autonomes...), mais aussi de l'effet communauté de communautés (différences de langues, de religions...) en ces lieux. Un documentaire troublant, qui souffre certes de ses cadrages au smartphone, mais qui pose des questions troublantes.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur