DANS LA PEAU DE BLANCHE HOUELLEBECQ
Rhum en rangée et pointes à pitres
Michel Houellebecq est invité en Guadeloupe pour un concours de sosies de sa personne, avec lui et Blanche Gardin en tant que membres du jury. Mais entre un véhicule sans climatisation, de la drogue en grosse quantité, des meurtres zarbis, des accompagnateurs bien siphonnés et des autochtones très politiquement revendicatifs, l’excursion va vite prendre une tournure incontrôlable…
S’il continue à ce point-là sur sa lancée imprévisible, on va finir par s’interroger sur ce qui pousse Guillaume Nicloux à bâtir au fil du temps l’une des filmographies les plus schizophrènes qui soient. Ce n’est là ni un compliment ni un reproche, juste un constat. L’an dernier, il aura fallu le grand écart absolu entre deux films consécutifs ("La Tour" et "La Petite") pour tenter de se faire à l’idée. D’une trinité de polars ultra-dark à des délires en caméra portée avec Michel Houellebecq en passant par des écarts du côté du film de guerre et du whodunit à la Agatha Christie, qu’est-ce qui fait tourner le satellite Nicloux en orbite autour de la planète auteuriste hexagonale ? Un mystère que son nouveau film, sorte de conclusion d’une trilogie entamée avec "L’Enlèvement de Michel Houellebecq" et poursuivie avec "Thalasso", ne va pas déflorer. C’est d’ailleurs tant mieux. Parce qu’à ce petit jeu certes risqué du brouillage des pistes et des étiquettes, Nicloux abat ici sa double carte maîtresse en la personne de ses deux acteurs principaux : d’une part l’humoriste la plus gonflée et impertinente du PAF, d’autre part le romancier le plus lu et controversé du Landerneau littéraire. Faites patauger ces deux zinzins dans un punch guadeloupéen très fruité, ajoutez-y un zeste d’acidité cynique et des glaçons idéologiques, passez le tout au shaker sans refermer le couvercle, et servez le tout dans une suite de petits verres à shot. Effet maousse garanti à chaque nouvelle gorgée !
D’entrée, Michel Houellebecq n’a pas de chance : malgré la visite de Gaspar Noé (qui lui propose un rôle gonflé de curé libidineux dans un film d’époque sur les ravages de l’Inquisition !) et de Françoise Lebrun accompagnée de son neveu Jean-Pascal Zadi (si si, vous avez bien lu !), il n’a ni la pêche ni la banane depuis qu’un entretien politique franchement craignos avec « l’autre Michel » (Onfray pour ne pas le citer) a considérablement terni son image médiatique. Mais rien de tel qu’un petit voyage aux Antilles pour se changer les idées – même s’il confesse qu’il aurait préféré aller en Israël ! Et il suffit pour l’occasion de le menotter accidentellement à une Blanche Gardin idéologiquement à l’opposé de ce qui peuple ses livres pour que cette excursion en territoire créole vire au capharnaüm le plus total, entre un concours de sosies totalement absurde, un garde du corps trop impulsif, un assistant un peu trop porté sur la chose et les champignons, et même une Marseillaise entonnée par Francky Vincent.
Au lieu d’en rajouter des caisses sur l’aura – désormais bien esquintée – d’un romancier de plus en plus sujet au scandale, Nicloux traite une fois de plus Michel Houellebecq comme un corps étranger, un intrus anormal dans un paysage normé, un foutage de gueule à échelle humaine dans un espace qui ne jure que par le discours et la revendication. C’est en cela que son tandem avec Blanche Gardin fait ici des ravages : entre celle qui pratique en reine le rire incisif sans orientation précise et celui qui fait mine de touiller le malaise dans ses écrits pour finalement révéler en live son je-m’en-foutisme plus sénile et démantibulé qu’autre chose, il y a une sorte d’espace commun – souligné par cette fausse promesse de transfert identitaire chuchotée par le titre du film – que Nicloux ne cesse de visiter et de creuser à chaque virage narratif. Soulignons que ce décor d’une Guadeloupe travaillée par son Histoire tourmentée (ici relayée sous forme d’archives) et ses velléités d’indépendance ne se contente pas d’offrir un cadre propice à tous les débordements verbaux ou situationnels – et c’est peu dire qu’il y en a. Au-delà de ça, Nicloux pose surtout ici un regard incisif et sans concessions sur les retombées les plus franches du colonialisme – un sujet déjà au cœur des enjeux des "Confins du monde" – mais sous un angle provocateur et barré que n'aurait pas renié la team du Groland.
Histoire, politique, racisme, sexisme, humour, homophobie, social, exotisme, drogue, langage et apparence sont ici comme des grenades dégoupillées avec lesquelles Nicloux ne cesse de jongler, juste pour le plaisir vicelard de les faire exploser quand il faut. Au fond, sa démarche tient en peu de choses. Se jouer de l’image caricaturale renvoyée par autrui pour mieux en extraire un contraste burlesque – on s’esclaffe d’entendre Jean-Pascal Zadi justifier le récent rabotage de ses dents face à un Houellebecq qui oublie de porter son dentier ! Capturer un schisme ou un malaise pour mieux le laisser s’accroître à des fins de crescendo sans fin – cette longue dispute à plusieurs dans une limousine privée de clim s’impose d’ores et déjà comme la scène la plus hilarante de ce début d’année ! Prendre le pouls du bazar idéologique ambiant sans chercher à le réorganiser par des angles ou des réflexions. Assumer les virages à 180° du côté du thriller ou de l’absurde – un défilé de faux sosies et un meurtre sanglant sonnent ici comme des écarts zarbis à la Quentin Dupieux. Et, pour finir, enfoncer le clou du WTF expérimental par une pirouette sous-marine qui envoie le générique de fin un peu trop tôt. Bilan plus que positif pour un gros foutoir shooté à l’arrache et à l’impro, qui, à l’instar de la citation de Maryse Condé habilement placée en intro, puise dans le rire le meilleur moyen de se libérer de ses propres chaînes.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur