BORGO
Mélissa, métisse à Bastia
Mélissa, 32 ans, s’installe en Corse avec son mari et ses deux jeunes enfants pour poursuivre son travail de surveillante pénitentiaire. Entre un conflit de voisinage et un premier contact assez rude avec les prisonniers qu’elle doit surveiller, les débuts sont difficiles. Elle finit par comprendre qu’ici, les surveillants sont « surveillés » par les prisonniers. Le jour où l’un de ces derniers, Saveriu, jeune et attachant, place Mélissa sous sa protection et lui demande de lui rendre un service, un engrenage se met en place…
À l’origine de "Borgo" (le nom de la prison corse située au sud de Bastia), il y a un fait divers bien réel, à savoir l’implication d’une jeune matonne dans un règlement de comptes entre bandes rivales en Corse, et qui avait eu à désigner une cible à abattre dans un aéroport en lui donnant un baiser. Pour autant, on sent que Stéphane Demoustier a souhaité se détacher de ce point de départ authentique pour au contraire plonger dans la fiction pure. Ce qui ne nous empêche pas de nous positionner malgré tout en terrain connu. D’abord vis-à-vis de son cinéaste, attaché comme dans "La fille au bracelet" à sonder un mystère intime – une héroïne coupable ou innocente ? – par le biais du recours à la justice. Ensuite par rapport à des fictions ancrées dans le quotidien agité de l’île de Beauté, ce que suffit à cristalliser un casting majoritairement composé d’acteurs corses déjà vus et revus dans toute production récente localisée sur place – cela va des uppercuts filmiques de Thierry de Peretti à des ovnis singuliers comme "I Comete" en passant par l’inévitable série "Mafiosa". Enfin par la prédominance des codes du thriller en mode « engrenage criminel », ici récités à la virgule près au sein d’une narration dont le parti pris central appuie l’effet au lieu de le transcender.
On devine assez vite ce qui est à l’œuvre dans la structure narrative de "Borgo" : ce montage alterné entre le parcours de l’héroïne et l’enquête autour d’un crime se veut ni plus ni moins qu’un leurre temporel, une mise en parallèle directe d’un trajet criminel avec son travail de relecture a posteriori. En soi, l’idée peut certes séduire dans sa propension à multiplier les angles (y compris ceux de la caméra de surveillance vidéo) afin de révéler au compte-gouttes qui a pu faire quoi ou ce qui a pu motiver tel ou tel acte. Pour autant, elle montre assez vite ses limites tant le scénario, globalement cousu de fil blanc et peu propice à créer une quelconque ambiguïté, suit une double ligne trop linéaire, presque courue d’avance. De là à voir le tandem de flics joués par Michel Fau et Pablo Pauly comme des doubles accidentels du spectateur (du genre à avoir toujours un train de retard sur nous), il n’y a qu’un pas. Côté mise en scène, l’effet de similarité est identique : Demoustier soigne ses travellings et compose une armada de cadrages au scalpel, mais difficile pour autant de trouver dans sa mise en scène plus de flamboyance et d’originalité que dans un épisode solide de "Mafiosa".
Cela dit, pour la mise en place d’un engrenage tendu et pressurisé dont il s’agit de suivre le lent glissement vers la criminalité par le biais des caractères et des paradoxes intimes, "Borgo" s’en tire avec les honneurs. Le film gagne même de sacrés points lorsque Demoustier fait en sorte de puiser l’essentiel de ses enjeux et de sa tension dans ce passionnant huis-clos au sein de la prison. Évoluant d’un premier contact cassant vers des rapports plus chaleureux et humanistes (avec comme point d’orgue l’amicale et collective reprise corse d’une chanson culte de Julien Clerc en écho à son prénom), cette jeune surveillante impeccablement jouée par Hafsia Herzi traduit à l’écran la dérive ambiguë d’un état d’esprit procédural vers un laisser-aller intime dont on ne sait pas s’il est lié aux injonctions reçues ou à une fascination tous azimuts. À quoi s’ajoute l’ancrage délicat d’une Française d’origine maghrébine au sein d’une microsociété insulaire, apte à transformer "Borgo" en réflexion sur la position d’autrui dans un contexte dont les codes et la culture s’inscrivent en opposition. Des pistes que le cinéaste réussit à suggérer et à rendre tangibles au détour de simples regards, échanges ou situations. En dépit d’une fin au léger goût d’inachevé, c’est là ce que l’on retiendra le plus de "Borgo".
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur