JEUNESSE (LE PRINTEMPS)
Une longueur excessive, qui démultiplie les redites, au milieu de portraits inégaux
La ville de Zhili, située à 150 km de Shanghai est entièrement centrée sur l’industrie textile, regroupant des centaines d’ateliers. Dans cet enfer de la confection, Wang Bing observe une jeunesse affairée, venue ici trouver un travail qui les accapare et les épuise, mais ne les empêche pas de sourire ou d’avoir des relations amoureuses. Ici chacun à une ambition différente, mais les jours se ressemblent les uns aux autres…
Le cinéma du documentariste chinois Wang Bing ("Madame Fang") demande que l'on prenne son temps, pour observer avec lui divers phénomènes. Qu'il s'agisse d'une guerre civile ("Ta'Ang", passé par Berlin), de la précarité de la jeunesse ("Argent, amer", passé par Venise), ou de l'isolement de certaines familles ("Les Trois sœurs du Yunnan" également vu à Venise), tous font environ 2h30. Mais le cinéaste a aussi tendance à battre des records, avec les 3h45 de "A la folie", une plongée dans un hôpital psychiatrique auprès d'une cinquantaine d'hommes (autre film vénitien), et surtout avec "Les Âmes mortes" (passé lui par Cannes), qui allait à la rencontre de survivants de camps de rééducation des années 50 sur presque 9h00. Le film avait d'ailleurs été divisé en trois parties pour sa sortie en salle en France, largement accompagnée par le plébiscite de la presse spécialisée.
Malheureusement avec "Jeunesse (Le Printemps)", première partie d'une trilogie (même, si en considérant les saisons, on se disait qu'il devrait plutôt y avoir 4 segments), c'est bien justement la durée du film qui en constitue le principal défaut, rappelant par là les dérives structurelles récentes d’un certain Wiseman. Non nécessaire à l'immersion du spectateur dans les lieux, ni pour nous faire comprendre leur fonctionnement, la durée n'est également aucunement justifiée pour approcher les différents personnages qui peuplent les principaux ateliers traversés au fil du documentaire. Ce n'est pas parce que le matériau est sans doute pléthorique (le tournage a duré de 2014 à 2019), que le montage proposé n'aurait pas mérité de faire une bonne heure, voire heure et demi de moins, retournant ainsi aux dimensions plus raisonnables des métrages cités en début de critique. Le montage des deux suivants étant d'ailleurs achevé, on est du coup forcément inquiets de la capacité de synthèse qui pourra en ressortir ou non.
D'un atelier à l'autre Wang Bing parvient tout de même à mettre en évidence, derrière la dextérité et la rapidité de la jeunesse, sa résistance à des horaires épuisants (jusqu'à 15 heures par jour) et toutes les difficultés qui lui pèsent (niveau des salaires, promiscuité dans les dortoirs, bruit incessant, exil loin de la famille...). Mais le plus intéressant est la manière dont il parvient à déceler, au milieu de cette activité qui ne s'arrête jamais (la caméra passe des ateliers aux appartements au-dessus, en quelques mouvements, à leur image), tout ce qui subsiste malgré tout de leur jeunesse : l'envie de draguer, les relations amoureuses, la capacité à s'amuser ou l'envie de sortir...
S'il parvient sur la fin à souligner les difficultés de fonctionnement des ateliers (liées à la concurrence ou aux fluctuations du marché), et à offrir une fin ouverte, qui révèle le rêve derrière le labeur et l'argent, son montage apparaît profondément déséquilibré. Affirmant pourtant que son film est construit par segments de 20 minutes, censés rythmer le récit, on constate qu'il consacre près de 1h10 au premier atelier, avant d'enfin s'intéresser réellement à un autre. Les durées d’observation sont ainsi fluctuantes et le film ne prend réellement son rythme que dans la dernière demi heure, abordant alors une multitude de sujets, qui sortent du constat répétitif de base : oui la jeunesse, avec sa force et son énergie, parvient à s'épanouir dans les pires conditions. Certes le film peut aussi être lu comme un début de critique de conditions de travail inhumaines, mais ce sera peut-être plus évident dans les parties suivantes, que l'on espère structurées plus lisiblement.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteurBANDE ANNONCE
Teaser JEUNESSE de Wang Bing – Sélection Officielle Festival de Cannes 2023 from Les Acacias Distribution on Vimeo.