PAST LIVES
Un bouleversant lien qui perdure
Deux hommes et une femme sont assis à un comptoir de bar. Un des deux hommes, Arthur, le seul à ne pas être d’origine asiatique, semble rester un peu à l’écart. Les deux autres, Nora et Hae Sung, ont l’air particulièrement liés. Mais la réalité est toute autre, car Nora et Hae Sung viennent juste de se retrouver, quelque 24 ans après l’émigration de la famille Nora, alors prénommée Na Young…
Derrière les apparences, il existe la réalité d’un couple et les traces d’un vécu. Ainsi, la première scène de "Past Lives", remarqué à Sundance, grand oublié du palmarès du Festival de Berlin, et probable favori des prochains Oscars, nous présente un homme asiatique discutant avec une femme asiatique, à un comptoir de bar. À côté d’eux, un homme blanc, qui semble ne pas prendre part à l’échange. Quel est le statut de leurs relations ? Qui est potentiellement en couple avec qui ? Les voix d’un homme et d’une femme, qu’on imagine assis à une table du restaurant, s’interrogent, et leurs avis divergent. Dans ce film à l’intelligence rare, il sera ainsi question de ces possibles, et de ce qui lie les êtres, parfois pour la vie, et de que l'on peut aussi appeler destin.
Ces possibles ont séparé à un moment donné Hae Sung, garçon coréen et Na Young, devenue Nora après avoir émigré avec ses parents au Canada, avant de s’installer finalement à New York. Construit en de multiples ellipses, permettant de revenir sur leur adolescence et leur amour platonique, leurs premiers échanges à distance, mais aussi ce qui a fait la divergence de leurs parcours, le scénario repousse par les hasards de la vie, les retrouvailles tant espérées entre ces deux êtres. Permettant également d’approcher la culture coréenne (on parle ici de In-Yun, notion liée au bouddhisme, signifiant la connexion émotionnelle entre les gens…), il renvoie cependant à des questionnements universels qui devraient toucher chacun des spectateurs, interrogeant au final celui-ci sur son attachement à des personnes perdues de vue, mais aussi sur sa propre capacité à respecter le passé de l’autre.
Très finement dialogué, "Past Lives" émeut ainsi au plus haut point, dans ce qu’il parvient à nous relayer des relations d’affection, de complicité, de compréhension, entre trois personnages (Hae Sung, Nora, et le mari de celle-ci). Il tisse aussi des parallèles symboliques entre les choix de chacun et certains gestes de chacun (les racines d’un arbre planté « doivent trouver leur place »), jouant au passage avec douceur sur les notions de « partir » et de « rester ». Si avec les réseaux sociaux, il est désormais facile de retrouver la trace de quelqu’un, le film interroge au final sur la réalité du maintien d’une connexion ténue, malgré la distance. Porté par un trio d’interprètes formidable, apportant chacun à leur personnage ce qu’il faut d’élan, d’hésitation et de fébrilité, ce bouleversant film d’auteure (Celine Song, co-scénariste sur "La Roue du temps") évoque avec une rare justesse l’une de ces histoires qui n’a jamais pu avoir lieu, mais qu’il est bon de parvenir à refermer tout de même, pour mieux pouvoir avancer.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur