CESÁRIA ÉVORA, LA DIVA AUX PIEDS NUS
Derrière la légende, une vie tourmentée
Cesária Évora, « reine de la morna », a connu une gloire tardive et a fait connaître le Cap-Vert dans le monde entier. Mais derrière le succès, il y a eu beaucoup de souffrances…
Plus de vingt ans après la disparition de Cesária Évora (à l’âge de 70 ans), ce documentaire franco-portugais permet de découvrir la vie bouleversée et bouleversante de la « Diva aux pieds nus ». Pour cela, la réalisatrice, Ana Sofia Fonseca, a recours à une multitude d’archives filmiques, photographiques ou sonores, et aux témoignages de ses proches qu’elle laisse judicieusement en voix-off, évitant ainsi l’option statique des interviews face caméra.
Se voulant un hommage et non une hagiographie, ce documentaire ne tait ni son alcoolisme, ni son caractère bien trempé, ni sa bipolarité. Les différents récits permettent de prendre la mesure de ses tourments : orpheline de père à 7 ans, souffrant de verrues plantaires dès l’enfance, recluse pendant onze ans à cause d’une longue dépression, elle a dû attendre longtemps avant que ses talents de chanteuse puissent être reconnus à leur juste valeur (bien qu’elle se soit produite sur scène dès l’adolescence). La cause ? Le sexisme surtout : d’une part par la faute d’une industrie musicale où la beauté physique prime sur celle de la voix, d’autre part à cause d’une société traditionnelle qui n’apprécie guère la femme indépendante qu’elle était et la liberté de ses mœurs. C’est finalement assez ironique qu’elle soit devenue une icône pour son pays, qu’elle a amplement contribué à faire connaître dans le monde.
Avec tous les faits accumulés par le documentaire, on prend notamment conscience de la pauvreté dans laquelle Cesária Évora a longtemps vécu et dont elle n’est jamais totalement sortie, même après le succès qu’elle a connu à plus de 50 ans, à cause d’un mélange de générosité, d’alcoolisme et d’une certaine incapacité à gérer cet argent dont elle n’avait pas bénéficié auparavant.
Après avoir développé de nombreux aspects durant sa première moitié, "Cesária Évora, la diva aux pieds nus" devient quelque peu redondant, tout en offrant un passage qui vaut son pesant de cacahuètes : la rencontre entre « Cize » et la légende cubaine Compay Segundo. Par ailleurs, les cinéphiles pourront éventuellement regretter qu’il ne soit fait aucune mention de sa participation à la bande originale de "Underground" d’Emir Kusturica (avec la chanson "Ausencia"). L’ensemble demeure toutefois un formidable portrait de la chanteuse et également, en filigrane, un aperçu culturel, social et historique de son pays.
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur