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INTERVIEW

TESTAMENT

Rémy Girard et Denise Robert

acteur et productrice

C’est en matinée, quelques heures avant la présentation officielle du film « Testament » devant le public du Festival d’Angoulême, que Denise Robert, productrice, et Rémy Girard, acteur fétiche de Denys Arcand, ont accepté une interview. Visiblement complices, les deux professionnels québecois nous accueillent dans le salon de l’hôtel Mercure pour quelques questions, autour de ce nouveau film qui capte l’air du temps.

Entretien Interview Rencontre
© Jour2fête

Un personnage en déphasage avec la société

Journaliste :
Dans le film, votre personnage apparaît un peu comme déphasé par rapport au monde actuel...

Rémy Girard :
C'est quelqu'un qui est seul, d'abord. Il a perdu tous ses repères dans la société actuelle. Et puis, c'est en rencontrant des gens, qu'il va trouver une voie, si on veut... Mais c'est quelqu'un qui n'est pas dénué d'humour, d'auto-dérision, quand il fait ses réflexions... On va cheminer avec lui, et rencontrer toutes les personnes que lui va rencontrer, et [qui vont] l'aider à trouver un bout de chemin... [...] Ça va lui redonner la joie de vivre.

Journaliste :
On a l'impression que lui est à l'écoute de tous les autres, ce qui n'est pas le cas du personnage féminin qui est plutôt sur la défensive. Parce que c'est son lieu de travail et parce qu'elle, on l'apprendra plus tard, est surtout centrée sur ses problèmes...

Rémy Girard :
C'est surtout qu'il a le temps. Il a le temps pour lui. Au début du film on apprend qu'il est seul, assez rapidement, que sa vie n'a pas toujours été ce qu'il aurait voulu. Il a voulu écrire, mais bon... Et il a le temps d'écouter les gens, le temps de rencontrer les gens. C'est ce qu'il aime faire. C'est rencontrer les gens et prendre le temps de discuter avec eux. Et à travers ça il y a toujours l'humour d'Arcand.

Il prend plaisir à cela. Mais il se permet aussi de faire ses petites réflexions sur la vie. De l'autodérision, mais un petit peu de dérision par rapport à la société aussi, par rapport à ce qu'il voit.

Journaliste :
Et dans cette société, on est finalement dans la revendication communautaire, dans la multiplicité des causes... C'est même ce qui est dit par votre personnage, en voix-off... Et vous-même… ?

Rémy Girard :
Oui quand il dit « moi j'ai jamais manifesté dans la vie, je voulais pas... ». Ça , c'est quelque chose qui le dépasse un peu. Moi non plus, j'étais pas quelqu'un qui descendait dans la rue, quand j'étais étudiant (rires). Mais je partage en général assez les points de vue de monsieur Arcand, à travers les années, à travers les films.

Provoquer le dialogue entre les générations

Journaliste :
Est-ce que pour vous, dans la société aujourd'hui, finalement tout devient politique ? Que c'est le politique qui est au centre finalement de tout ce que fait la jeune génération ? En tous cas on a l'impression qu’il n'y a plus de dialogue, que les gens ne s'écoutent plus. Dans le film c'est exprimé à plusieurs moments...

Rémy Girard :
Les réseaux sociaux font qu'on devient soi-même quelqu'un qui a des choses à dire. Je pense pas que les réseaux sociaux favorisent le dialogue entre les gens. On dirait qu'il y a une solitude des gens, qu'on s'appuie sur des dogmes : « tiens il faut faire ça, tiens faut pas faire ça, faut pas dire ça ». Effectivement...

Journaliste :
Du coup ça rend la vie en société difficile en fait ?

Denise Robert :
Oui, mais en fait, avec le film, je pense que Denys veut provoquer le dialogue entre les différentes générations. Parce que justement, comme Rémy le dit, les gens s'isolent sur les réseaux sociaux. [...] Aujourd'hui dans notre société effectivement, c'est comme toutes les générations : quand on a vingt ans, on veut tout changer. Les jeunes veulent tout changer et avec raison, dans beaucoup de domaines. Et c'est justement pour ça que Denys Arcand fait de l'autodérision à travers le film, parce qu'il s'aperçoit qu'il doit s'ajuster - et c'est lui qui doit s'ajuster -, à cette nouvelle génération qui a des questionnements tellement valables.

Journaliste :
La position de la femme est questionnée, dans la toute première partie du film, quand vous recevez un prix (qui finalement n'est pas pour vous d'ailleurs)...

Des femmes qui prennent leur place dans la société

Denise Robert :
Denis a dit une chose : « je n'ai pas le talent pour inventer, je raconte ce que je vis ou ce que j'ai témoigné ». C'est important d'écouter la phrase, quand il se sont trompés d'auteur, et bien ce n'est pas grave. C'est sûrement que vous méritez le prix aussi. C'est de l'humour aussi. Et l'humour permet justement de rire de soi-même. C'est ce que Denis s'amuse à faire : il rit de lui-même.

Journaliste :
Mais il fustige aussi, avec humour, l'hyper féminisme, avec à la fois les intitulés des livres de toutes ces femmes qui montent sur scène, et le fait qu'elles lui marchent dessus...

Denise Robert :
Oui, mais on le voit, c'est la femme qui prend la place qu'elle mérite dans cette société. Je suis une femme, j'ai produit le film. Avec raison, il est temps que la femme prenne sa place dans la société. Et je pense que le personnage... Parce que vous le savez, quand vous allez une remise de prix, les sièges sont très serrés les uns sur les autres, donc les gens qui vont chercher les prix doivent enjamber ceux qui sont assis. En tout cas chez nous c'est le cas. … [permet de voir] comment il y a un questionnement pour un équilibre dans la société, et qu'il y a de la place pour tout le monde, autant les hommes - les hommes jeunes, les hommes âgés - que les femmes, et que tous les gens qui existent. Et c'est plutôt de dire que cet espace il est mérité aussi.

Une liberté d’expression nécessaire à la création

Journaliste :
Et du coup c'est difficile ou c'est risqué de produire un film comme ça aujourd'hui ? Justement par rapport à ce que vous disiez tout à l'heure : « on doit penser ça, on doit pas dire ça... ». Et parce que dans le film, Denys Arcand y va avec humour sur plein de sujets : sur les régimes bio, le fait de devoir faire du sport, d'être toujours performant... Il y a plein d'injonctions qui sont faites sur lesquelles il y a une certaine critique avec humour...

Denise Robert :
Écoutez, je ne suis pas sûr qu'il critique... c'est plutôt un constat. Le cinéma de Denys Arcand, on connaît son humour, on a vu "Le Déclin..." ["Le Déclin de l'Empire émaricain"]. "Le Déclin..." à l'époque, quand il est sorti, a parlé ouvertement de l'éclatement de l'église. L'abandon en fait de l'église, qui avait une emprise sur notre société au Québec, et un peu partout dans le monde. [Ou encore] l'éclatement de la famille, à l'époque... les hommes ont des maîtresses. C'était des choses qu'il s'était fait reprocher à l'époque du "Déclin" : d'avoir dit à voix haute le constat de tout le monde. Ça s'inscrit dans sa logique et c'est de l'autodérision.

Denys Arcand a été élevé dans une famille extrêmement croyante, une mère qui était religieuse et qui a été capable de se défroquer pour être avec l'homme qu'elle aime. Et c'est son regard, à l'époque du "Déclin" sur la religion, comme aujourd'hui son regard sur l'évolution du langage, l'évolution des genres, l'évolution... Comme on dit, c'est l'autocritique, le deuxième et troisième degré qui l'amusent. Ça n'est pas voulu au premier degré.

Le seul outil pour pouvoir créer, c'est une liberté d'expression. Quand on se censure, qu'on dit ce que les gens veulent entendre, ce n'est plus de la création. L'autre jour j'ai écouté Fabrice Luchini, qui avait une liberté des mots... Denys Arcand a une liberté de mots.

Une beauté qui ne devrait pas être une menace

Journaliste :
Dans le film, il y a aussi un sujet sur les a priori ou les apparences. Par exemple, le fait que la directrice de la résidence s'interroge sur cette belle femme qui vient lui rendre visite...

Denise Robert :
C'est toujours en tant que femme. À la base de toutes les émotions féminines, dès qu'on voit quelqu'un, on questionne. Elle questionne quelle est la raison de ces visites, elle croit que cette femme est une prostituée...

Journaliste :
...mais parce qu'elle est belle, et jeune...

Denise Robert :
Voilà ! Voilà... C'est la jeunesse... Parfois, moi je trouve ça rafraîchissant la jeunesse, ça ouvre les yeux sur plein de choses. Mais certains voient ça comme une menace. Donc c'est cette observation de comment la jeunesse, la beauté, peut être une menace pour certains. C'est tout à fait vrai.

Pour Denys, je vais vous dire l'expérience qu'il a eu sur certains des films, quand il a tourné... Dès qu'il y avait des actrices absolument d'une beauté, les actrices ou mêmes les acteurs plus âgés trébuchaient dans les câbles, aveuglés par la beauté des femmes, et même les femmes étaient plutôt comme insécurisées par la présence de la beauté et la fraîcheur. Dans notre société d'aujourd'hui, ce qui est merveilleux, c'est que la porte est ouverte pour ne pas se sentir menacé par ces éléments, mais plutôt de les embrasser.

Un fin observateur pour qui chaque mot est pesé

Journaliste :
On a quand même l'impression qu'il y a ces pics, ce cynisme qu'on lui connaît. Mais on a l'impression que les deux personnages sont empreints d'une certaine sagesse finalement. Vous disiez qu'il avait du recul tout à l'heure, avec l'âge. Mais c'est aussi une résignation, un désintérêt finalement...

Rémy Girard :
Au début du film. Au début de l'histoire, on peut dire qu'il est désillusionné de la vie. Mais c'est justement la beauté du film, c'est qu'à un moment donné il va rencontrer des gens. Et comme c'est quelqu'un de curieux et d'intelligent, et qui écoute les gens, il va s'ouvrir. Il va s'ouvrir aux autres. Et plus le film avance, plus il avance dans la vie. Il en est lui-même surpris d'ailleurs.

Journaliste :
Il est fait référence plusieurs fois [dans le film] à la période du Covid, notamment par rapport à l'action des politiques. C'est quelque chose qui a marqué énormément la société québécoise ?

Denise Robert :
De beaucoup, parce qu'on a été enfermé pendant deux ans : interdiction de sortir, même d'assister aux funéraires de nos proches, de célébrer en famille des moments heureux ou de se réunir et de se réconforter. Plusieurs personnes âgées sont mortes dans la solitude, parce que les aidants naturels ne pouvaient les visiter. Ça a été une période difficile, mais autant pour les politiciens que la population. C'était quelque chose de nouveau la pandémie. Mais c'est curieux, parce que dans "L'âge des ténèbres", le film que Denys a fait il y a une dizaine d'années, il est justement question d'une pandémie où les gens doivent porter les masques et tout... Un air prémonitoire. Et comme c'est quelqu'un qui est un historien, sa nature première c'est d'observer et de constater des choses...

Rémy Girard :
...sans critiquer, voilà. C'est quelqu'un qui nous fait un cliché, qui nous met un miroir devant nos yeux : voici ce qui s'est passé, comment ça s'est passé. Et Denys, c'est le miroir du passé, c'est le miroir du présent, c'est le miroir du futur. Il voit aussi dans ce que l'histoire nous amène... qu'est-ce qui peut arriver. Toujours dans ses films le point de vue historique est là. Il situe les choses dans une perspective historique.

J'ai toujours dit que c'était un grand dialoguiste. Quand on fait un film avec Denys Arcand, on ne change pas un seul mot. Il n'y a pas d'improvisation. Il en veut pas d'ailleurs.

Denise Robert :
Je fais référence à Fabrice Luchini, quand il parlait de l'importance des mots. Si j'ai mis ce mot là, c'est justement que c'est celui-là que j'ai choisi. J'ai pris une semaine chaque matin... c'est pas en trois secondes que tu vas changer le mot. Il y a une réflexion derrière le mot (rires). Ça me fait rire. Mais aussi ça a été un tournage très heureux.

Rémy Girard :
J'ai cru comprendre que les gens rient dans les salles de projection. Denys a réussi à faire une comédie sur la mort dans "Les invasions barbares", faut le faire (rires) !

Une fidèle famille de comédiens

Journaliste :
Justement, il y a ici toute cette famille de comédiens... Vous faites partie de ses acteurs fétiches. Vers la fin, il y a Yves Jacques qui apparaît en directeur des Beaux-Arts, et puis avec un vice-ministre qui, il me semble, a été aussi dans ses films (il jouait dans "Jésus de Montréal"). Et dans la scène suivante, il y a Pierre Curzi qui fait une apparition...

Denise Robert :
Denys s'est dit « j'ai envie de faire un film avec les acteurs que j'aime ». D'être « sur le plateau avec ma famille d'acteurs, qui m'ont accompagné dans ma création », depuis les cinquante ans qu'il fait du cinéma. ...Cinquante-deux ans. Il a commencé à l'âge de dix-neuf ans.

Olivier Bachelard Envoyer un message au rédacteur

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