Festival Que du feu 2024 encart

N°10

Un film de Alex Van Warmerdam

Un film multiple, aussi déroutant qu’enthousiasmant

Marius part travailler au théâtre, laissant chez lui sa femme malade, alitée. Sur place, Karl, le metteur en scène, en couple avec Isabel, la dirige dans sa pièce, où joue également Günter, devenu en secret son amant. Mais les trous de mémoires répétés de Marius agacent non seulement Günter et le metteur en scène, mais inquiètent aussi un mystérieux prêtre, ne souhaitant pas voir une mauvaise presse autour de la pièce. Alors que sa fille filme étrangement ses faits et geste en secret, Günter est abordé par un homme mystérieux sur un pont, qui lui murmure un mot inconnu à l’oreille, réveillant des interrogations sur ses origines. De son côté, Karl décide de pourrir la vie de Günter et Isabel, en changeant des morceaux du texte, voire en échangeant les personnages, à quelques jours à peine de la première…

N°10 film movie

L’auteur néerlandais culte de "Borgman" et "Les Habitants", Alex Van Warmerdam, nous revient avec plusieurs films en un, imbriqués dans un "Numéro 10" des plus intrigants. Car partant comme un vaudeville entre gens de théâtre (la liaison d’un acteur avec une actrice, sous le nez de son compagnon metteur en scène), "N°10" prend un virage à mi-chemin, dans un tout autre genre. Les tonalités des deux parties sont tellement distinctes, d’un humour à froid dans lequel la pression monte sur des artistes condamnés à se fréquenter quotidiennement, à un trip hallucinant maintenant le doute jusqu’au bout, qu’on ne peut qu’adhérer à cette construction, déroutante.

Tel un Petit Poucet, le metteur en scène, ici aussi scénariste, parsème son récit d’indices parfois anodins mais étranges (la fille s’inquiète d’avoir appris qu’elle n’a qu’un seul poumon, le prêtre a un espion dans le théâtre pour lui rapporter la situation…), chacun agissant finalement dans une logique assez peu lisible au premier abord. Laissant l’imagination du spectateur combler les trous, dans une paranoïa par moments légitime, le scénario trouve son aboutissement dans une parabole anti-cléricale aussi inattendue que réjouissante, les hommes d’église versant dans de louches agissements. Sans compter sur son personnage, qui va jusqu’à comparer l’évangélisation à « un médecin qui convaincrait quelqu’un qu’il est malade pour lui vendre son médicament », en l’occurrence le salut.

Par de multiples digressions, des variations soudaines dans l’importance des enjeux ou la violence des actes perpétrés (voire la scène pivot, de la première de la pièce...), ou encore la divulgation tardive des motifs des agissements de certains (les filmages clandestins de la fille et son copain, les desseins divergents des hommes d’église, Alex Van Warmerdam, maintient suspense et tension dans la seconde partie. Il convoque aussi de puissants plans autour de l’imagerie religieuse, pour mieux servir son hallucinant périple, interrogeant la question de la crédulité d’une race humaine dont l’intelligence et l’existence paraissent au final bien anecdotiques et risibles.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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