VISIONS
Un palpitant thriller, entre jalousies et culpabilité
Estelle, pilote de ligne, fait un rêve étrange, dans lequel elle visite une maison moderne abandonnée, planquée au bout d’une plage. A l’aéroport, par hasard, elle aperçoit Ana, photographe de renom, avec laquelle elle a eu, vingt ans avant, une liaison. Invitée à dîner chez Estelle et son mari Guillaume, chirurgien, qui tentent d’avoir un enfant, celle-ci la félicite pour ses choix de vie, et sa situation enviable, créant tout de même un certain malaise. La sachant installée pour quelque temps dans le coin, Estelle ne peut s’empêcher de lui rendre visite. Elle s’aperçoit alors qu’Ana occupe la même maison que dans son rêve, prêtée par une amie galeriste…
Cinquième long métrage de Yann Gozlan, après l'énorme succès de "Boite Noire", "Visions" est un thriller psychologique qui a donné lieu à des files d’attente monstres au dernier Festival d'Angoulême, où il était présenté en avant-première. Autour d'un couple composé d'une pilote de ligne et d'un chirurgien, deux personnages dont les métiers exigent qu'ils soient en permanence dans le contrôle et la minutie, va se tisser une intrigue vénéneuse liée à une ancienne amante de la femme, avec laquelle elle a vécu une passion destructrice vingt ans auparavant. Habilement structuré, le film alterne rêves et réalité pour mieux perdre peu à peu le spectateur dans la psyché de l'héroïne, alors qu'elle replonge dans cet amour physique aussi magnétique que ravageur.
Le film s'ouvre d'ailleurs sur un rêve, dans lequel Estelle, ceinturée de méduses, sort de l'eau et se dirige vers une maison abandonnée, des débris au sol finissant par lui blesser le pied jusqu'au sang. Ceci avant, qu'entre des scènes décrivant l’exigence et la précision de son métier, elle ne croit apercevoir Ana, son ancien amour, à l'aéroport. Une rencontre qu'elle ne sait comment gérer, entre tentative d'évitement et désir irrésistible de renouer. Suivra ensuite une intrigue aux multiples retournements, qui mêle habilement les notions de jalousie, d'emprise, de culpabilité et de paranoïa, alors que le passé semble se répéter, comme les rêves devenir réalité.
Mais chacun sortira sans doute du film avec plus d'interrogations que de réponses, d'abord parce que sa suspicion se portera successivement sur plusieurs personnes ou logiques, ensuite parce qu'on pourra légitimement se demander où est la réalité dans tout cela. En poussant un peu plus loin, la représentation même des deux maisons modernes (celle où habite le couple et celle où réside la photographe), l'une aux décors aseptisés autant que leurs vies bien réglées, l'autre aux murs rouge-sang comme la passion, l'une avec une piscine longiligne où on peut s’essouffler, l'autre aux murs formant comme une fente pour y rentrer, pourraient bien représenter la scission psychologique de l'héroïne elle-même, entre mariage avec désir d'enfant et passion aussi déchaînée qu'enchaînée. Chacun ressortira en tous cas de la salle avec l'irrésistible envie d'échanger, la dernière scène venant résolument semer le trouble.
Diane Kruger trouve en tous cas ici son rôle le plus troublant, mettant tout son corps au service d'un récit torturé. Marta Nieto, découverte dans "Madre" et vue l'an dernier dans "En décalage", impressionne avec un charme vampirique et une ambiguïté qui semble calculée. Quant à Mathieu Kassovitz, il est suffisamment figé pour nous faire douter des intentions de ce mari pourtant attentionné. À la fois lumineux par ses décors de bord de mer et très sombre dans sa description d'un amour passionnel, "Visions" réussit à évoquer cette tourmente et son caractère cyclique avec brio, entre désir et manque irrationnel (mention spéciale à la scène de boîte de nuit, où Estelle voit Ana partout, dans le moindre visage...) et s'affiche en thriller aussi élégant que troublant.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur