LES AVANTAGES DE VOYAGER EN TRAIN
Histoires imbriquées
Alors qu’elle vient de faire interner son mari, Helga, éditrice madrilène, se retrouve dans le train, face au Dr Angel Sanagustín, psychiatre, qui lui raconte une expérience avec un patient qui l’aurait séquestré. Dans son histoire, celui-ci recevait le courrier d’une femme, dont le frère avait disparu et coupé toute communication…
Les qualités du premier long métrage de Aritz Moreno, "Les Avantages de voyager en train", film datant de fin 2019 en Espagne, sont nombreux. Ils tiennent à la fois à son casting, ses cadrages étranges, son esthétique surprenante, et surtout la manière dont son montage imbrique plusieurs histoires, toutes contées en flash-back l’une à l’intérieur de l’autre. Déformées par la perception de celui qui écoute ou celui qui raconte, chacune prend légitimement, au-delà de l’inquiétude provoquée par leur sujet-même, un aspect légèrement surréaliste, que ce soit dans des éléments du décor, des digressions entrant dans d’improbables détails, un trop plein de comportement déviant, ou le jeu d’interprètes qui semblent à prendre ici un réel plaisir. Objet filmique non identifié au sein d’une production espagnole souvent incline à la comédie familiale facile, le film est une vraie réussite.
En croisant un psychiatre dans un train, qui lui propose de lui raconter une expérience à lui, dans laquelle une femme parle elle-même de son frère disparu, qui lui même va raconter 5 ans de sa vie, puis en chapitrant son film en trois parties, revenant sur la relation entre l’éditrice et son mari déviant, l’auteur propose de multiples mises en abîmes, auxquelles le dernier plan vient encore rajouter un niveau. Qui raconte quoi au final ? Tous ces autres personnages dont entend parler l’héroïne existent-il vraiment ? Cette étrange maison aux volets clos qui relie certaines histoires représente-t-elle l’inconscient de celle-ci ? A moins que sa position d’éditrice en fasse le réceptacle naturel de nombreuses histoires, qui la suivent partout… On ressort de la projection, non seulement repus d’historie plus glauques les unes que les autres (il est question ici de trafic d’enfants, de pédophilie, de séquestration, d’obsession sexuelle, d’esclavage, de paranoïa, d’internement…). Au fil des trois chapitres, « Le Mariage trompeur », « Les Gens », « Les Avantages de voyager en train », le narrateur change, les ambiances aussi (parfois empreintes d’une couleur dominante…), les rôles semblent s’échanger, et l’étonnement est en permanence au rendez-vous.
Côté interprètes, Luis Tosar est méconnaissable avec ses cheveux longs, Quim Gutiérrez ("Abracadabra", "Les Derniers jours", "L'Île rouge") entre dans un registre inattendu, et Pilar Castro ("Julieta", "Gordos", "Compétition officielle") trouve l’un de ses meilleurs rôles. On se réjouira qu’ici chaque personnage ait son défaut voire sa défectuosité, et des détails qui font la petite touche d’humour noir qui rend l’ensemble de ces récits hors normes supportables : amoncellement incroyable de sacs poubelles colorés, épisode du stylo… Original, riche et passionnant, au final, "Les Avantages de voyager en train" est une œuvre à part, qui mérite sans doute plusieurs visionnages pour en saisir toutes les dimensions. En attendant, contentez-vous au moins d’un premier voyage avec ses personnages étranges et torturés.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur