YANNICK
Une saisissante et grinçante parabole sur la France d’aujourd’hui
Alors qu’il assiste à la représentation d’une pièce de boulevard intitulée « Le Cocu », Yannick se lève et interpelle les interprètes. Leur indiquant que la pièce est selon très mauvaise, n’étant pas drôle et lui filant le bourdon, il affirme qu’ils lui gâchent sa journée, lui qui a pris un congé pour venir se divertir, et que cela ne peut pas continuer ainsi…
Les concepts des films signés Quentin Dupieux sont toujours surprenants. Il suffit de voir pour s’en convaincre, "Rubber", l'histoire d'un pneu amoureux qui se mue en tueur, "Mandibules" le portrait de deux glandeurs qui trouvent une mouche géante dans un coffre de voiture et décident la dresser pour qu’elle leur ramène de l’argent, ou encore "Incroyable mais vrai", dans lequel un couple joue des propriétés d'un trou temporel situé dans leur sous-sol. À chaque fois c’est un trait caractère qui est grossi à la loupe, par le biais d’une histoire à l’humour absurde, aussi délicieuse que parfois pas totalement aboutie : la prétention dans "Le Daim", la jalousie dans "Rubber", la fainéantise dans "Mandibules", la peur de vieillir dans "Incroyable mais vrai".
Avec "Yannick", l’auteur non seulement s’empare de l’individualisme forcené actuel, mais il en tire une saisissante et grinçante parabole sur les divisions de la France d’aujourd’hui, par l’entremêlement de tout un tas d’autres sujets. En cela, ce film est certainement l’un de ses plus aboutis, la durée de 1h07 lui permettant d’exploiter le malaise créé par la situation initiale, sans jamais lasser le spectateur. Car c’est un dialogue de sourd, personne n’écoutant l’autre, qu’il installe, entre le spectateur révolté et les interprètes outragés, comme si la France du divertissement ne communiquait plus avec celle de l’artistique. Convoquant à la fois comportement borderline du spectateur, prétention et frustration des acteurs, mépris de classe, exigence de générosité, le scénario incarne en même temps l’opposition entre France « d’en bas », inculte, vulgaire, mais sensible, et France « d’en haut », suffisante, incapable d’écoute, mais toute aussi insatisfaite. L’incarnation d’une opposition, qui par le dernier plan, prend des aspects encore plus politiques dans le contexte actuel.
Pour incarner le personnage principal, Quentin Dupieux a fait appel à l’acteur à la mode en ce moment, Raphaël Quenard, certes toujours dans le même registre (le voir dans "Novembre", "Coupez !", "Je verrai toujours vos visages", "Sur la branche"…) mais qui s’avère parfait dans le rôle, et montre une nouvelle facette dans sa dernière scène. Ayant une drôle de conception du respect, arrogant, clown forcé, nerveux et violent verbalement, son personnage est avant tout en permanence dans le jugement, maquillant son aspect envahissant et une certaine maladresse sous un prétendu humour. Face à lui, Blanche Gardin et Pio Marmaï (qui dispose d’une incroyable tirade de pétage de plomb), incarnent des acteurs installés dans les habitudes d’un théâtre immuable, et surtout préoccupés par leur seul art, et donc coupés de la réalité. Entre les deux, le reste du public, impassible, ne bronche pas, pétrifié, d’abord par la surprise, puis par la peur grandissante.
Tel une autre France, de l’entre-deux, qui n’ose plus réagir et avale toutes les couleuvres, leur attitude « neutre » interroge sur leur choix d’un camp face à un État qui n’écoute plus mais use de la force. Car qu’est-ce qui est plus dangereux : le péquin moyen qui non écouté va se révolter par les urnes, ou ceux qu’il aura lui-même élu, qui une fois au pouvoir, n’auront encore moins de cas de conscience pour user de la force (potentiellement contre lui) ? Étonnamment on ressort du film, véritable comédie acide, avec une pensée sur ce cercle vicieux qui se profile.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur