MASTER GARDENER
Joel Edgerton troublant, dans un rôle plus ambigu que jamais
Narvel, horticulteur, dirige une équipe de jardiniers pour Mme Norma Haverhill. Un jour, son employeuse le contraint à prendre comme apprentie sa petite-nièce Maya, jeune femme afro-américaine âgée d’environ 20 ans. Lors des premières leçons, Narvel tente de cacher ses tatouages, avec notamment une croix gammée, suggérant son appartenance aux suprémacistes blancs…
Avec la nature, « le changement viendra en temps voulu », affirme en introduction du film Narvel, horticulteur méticuleux, alors qu’il rédige un texte sur les trois types de jardins existants. De ces trois types, Paul Schrader ("The Canyons", "The Walker", et récemment "The Card Counter") semblera ensuite s’inspirer dans la construction de son film et la description de l’évolution de ses personnages, usant de paraboles plus ou moins structurées. Narvel, jardinier renfermé, visage souvent impassible, travaille comme maître jardinier dans l’immense propriété de Mrs Haverhill. L’arrivée de la petite nièce va venir semer le trouble dans ce microcosme bien réglé, où on semble plus se préoccuper du concours à venir et de la transmission d’un certain savoir, que des êtres vivants eux-mêmes, enfermés dans des habitudes rassurantes, mais significatives de relations de forces. Un trouble lié à la fois à sa nature de femme, mais aussi au sombre passé de Narvel, qui va alors refaire surface.
De ce passé, on ne sait trop si le personnage de Narvel, interprété avec minutie par Joel Edgerton, est en train de l’expurger. Agissant tel un mort vivant, sous le joug de l’implacable poid de ses actes, sa propre chair l’oblige pourtant à se confronter quotidiennement à son passé. Et face à Maya, à la fois du fait des origines de celle-ci, mais aussi par les éléments qu’elle cache elle aussi, naît un suspense malsain qu’entretient savamment le metteur en scène. Par de méticuleux plans fixes, Paul Schrader insuffle notamment une certaine froideur à des lieux pourtant d’aspect luxuriant, qui s’avèrent finalement à l’image de la relation ambiguë du jardinier avec sa propriétaire, révélée rapidement lors d’un vénéneux dîner.
Au travers de courts flash-back venant ponctuellement illustrer le passé de Narvel, c’est toute une résonance qui se construit entre celui-ci et Maya, autour des thèmes de la drogue, de la famille, de l’éducation (lui a été « élevé pour haïr les gens »), de l’indépendance... Mais c’est au final le thème de la domination qui s’avère le lien entre toutes les sous-intrigues, de la façon dont le personnage Sigourney Weaver (ici dans un rôle chargé d’une belle ambiguïté) appelle son jardinier « Sweet Pea » (Pois de senteur en français…), aux agissements passés de Narvel, jusqu’à la raison qui l’aura amené là, dans ce jardin semblant retiré du monde. Une œuvre troublante, sombre et intense, malgré tout tournée vers une étincelle de vie à retrouver.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur