HOW TO SAVE A DEAD FRIEND
Portrait poignant d’une jeunesse sacrifiée
Bien qu’elle n’ait que 16 ans, Marusya ne veut plus continuer à vivre. Mais sa rencontre avec Kimi va tout changer. Pour la première fois, elle se dit que demain pourrait être un jour meilleur…
La démocratisation du numérique a permis de rendre accessible à toute une partie de la population mondiale la capacité de réaliser une œuvre maison. Si beaucoup vont se limiter à filmer mamie à la plage et papa qui fait du vélo, d’autres vont donner naissance à un vrai journal intime digital. C’est précisément ce que va faire Marusya Syroechkovskaya, une jeune adolescente russe. Évidemment, à cette époque-là, il ne s’agissait pour elle que de capturer des moments de vie, sans aucun autre dessein que d’immortaliser certains souvenirs. Mais comme le suggère l’antinomie du titre, le métrage sort aujourd’hui, à un instant où la protagoniste connaît le dénouement de ce qu’elle s’amusait à saisir naïvement durant près de dix ans. La tentation de transformer ses archives intimes en un film à thèse était alors présente, mais la cinéaste ne commettra jamais l’écueil de se perdre dans un propos, se contentant de rester fidèle à une réalité déchirante, écho d’une génération sacrifiée par la « Russie de la déprime ».
Au milieu des années 2000, Marusya s’est faite une promesse : le jour de ses seize ans, elle mettra fin à ses jours, épuisée de ne pas pouvoir être celle qu’elle aimerait, dans le régime autoritaire imposé par Poutine. Sauf qu’elle va faire la rencontre de Kimi, et on le sait, l’amour donne des ailes, mais aussi une raison de se lever chaque matin. C’est alors l’euphorie des débuts, les excès d’alcool et de drogue, les soirées où la musique post-punk fait saigner les oreilles des voisins. C’est le sentiment de liberté totale, la chimère que tout est désormais possible. Cette période dont l’imagerie rappelle le cinéma de Gregg Araki trouve son apogée dans un mariage résumé par un diaporama kitsch qui sent si bon le mauvais goût emblématique du début du 21ème siècle.
On pourrait alors penser que nous assistons à l’idylle touchante entre deux écorchés vifs pour qui les sentiments se sont transformés en moteur de l’existence. Mais la musique se fait de moins en moins entendre. Les rires se conjuguent au passé. Les amis disparaissent du cadre. La romance persiste, mais la caméra, elle, ne s’en occupe plus. Elle se concentre sur la spirale autodestructrice de Kimi, où chaque plan nous fait redouter l’épilogue. Sans le transformer en symbole, sa conjointe rapproche son parcours de celui de cette jeunesse russe, incapable de pouvoir s’exprimer. Quand on se rêve artiste, que faire dans un pays qui brime toute marginalité, toute tentative d’exprimer une idée contestataire ? Existe-t-il une fin heureuse pour ces jeunes qui n’ont pas à envie de se soumettre à un pouvoir politique qui méprise des valeurs qui leur sont chères ? Alors que le documentaire permettra à Kimi de laisser une trace immuable, les questions restent en suspens, trouvant dans l’actualité récente une résonance toujours aussi dramatique…
Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur