MARCEL LE COQUILLAGE (AVEC SES CHAUSSURES)
Marcel, votre nouvel ami préféré
Un réalisateur de documentaires découvre dans son Airbnb un drôle de petit coquillage : Marcel, vivant seul avec sa grand-mère après qu’ils aient été tristement séparés de leur communauté. Sans plus hésiter, le cinéaste décide de faire du crustacé le héros de son prochain film…
Il est probable que lorsque Dean Fleischer-Camp et sa compagne de l’époque, la comédienne et stand-uppeuse Jenny Slate, décident de publier sur Youtube en 2010 un court métrage de 3min22 sur un coquillage anthropomorphe, ils n’aient à aucun moment donné anticipé le phénomène qu’allait devenir ce Marcel, un crustacé donc, avec des chaussures. 33 millions de vues plus tard, après deux autres vidéos (les trois courts sont toujours disponibles sur la chaîne du monsieur gratuitement) et la création d’albums de jeunesse, le mockumentary est devenu un long-métrage sous l’égide du studio, actuel roi du cinéma indépendant, A24.
Le conte de fées pourrait s’arrêter là, mais cette comédie entre animation et prises de vue réelles, sortie en 2022 au pays de l’Oncle Sam, sera l’un des plus grands succès critiques outre-Atlantique, avec notamment 98% d’avis positifs sur Rotten Tomatoes, la présence du film dans la plupart des classements de fin d’année de la presse spécialisée, et une pluie de récompenses ainsi que des nominations aux Oscars et Golden Globes. Pas mal du tout pour un être de moins de 3 centimètres de haut. Et alors qu’on pouvait craindre une sortie discrète directement en VOD chez nous, l’Atelier Distribution nous fait l’immense joie de lui offrir un dernier round sur grand écran.
L’intrigue, elle, est à l’image du titre : totalement loufoque. Marcel vit avec sa grand-mère Connie dans un grand appartement délaissé. Du temps des anciens propriétaires, ils avaient l’habitude de vivre avec toute une communauté de mollusques, mais un évènement malencontreux engendra la séparation de nos deux protagonistes du reste du groupe. Jusqu’au jour où un réalisateur débarque dans la demeure en Airbnb. Il ne mettra pas beaucoup de temps à croiser la route de ses minuscules colocataires, au point de décider de publier une vidéo de cette rencontre sur internet. Le buzz est immédiat, et Marcel voit alors la possibilité d’utiliser cette notoriété nouvelle pour retrouver les siens qui lui manquent tant.
En quelques minutes, Dean Fleischer-Camp et Jenny Slate nous ont complètement plongé dans cet univers d’apparence absurde, où l’incongru est accepté comme une normalité, mais où chaque séquence sert un propos plus profond que la simple farce. Car c’est bien cela qui fait la force de cet objet filmique non identifié, sa propension à tirer d’un gag une nostalgie et une émotion face auxquelles il est très difficile de rester insensible. Savant mélange entre ironie et mélancolie, cet exercice de style est avant tout une merveille scénaristique, où les différentes thématiques (la solitude, l’importance de la famille, les stigmates de l’âge) sont distillées avec un sens parfait du timing, réussissant à dynamiser la trame narrative sans jamais avoir besoin de recourir aux gros rebondissements artificiels.
Volontairement minimaliste, "Marcel le coquillage (avec ses chaussures)" fait partie de ces œuvres où chaque plan sublime la monotonie du quotidien, où chaque recoin de l’image transpire un désir ardent de Cinéma, préférant l’inventivité artisanale façon Michel Gondry que les grandes innovations numériques. De ces instants initiaux nous présentant les différentes trouvailles des personnages en stop motion pour survivre (le miel comme glue pour atteindre les endroits en hauteur, une balle de tennis en guise de moyen de locomotion…), le film s’en sert comme d’un tremplin burlesque vers une deuxième partie où l’émoi prendra le pas sur l’humour.
Sans qu’on ne le sente vraiment venir, cette petite parenthèse enchantée et cocasse se transforme en un récit plus sombre, où nos glandes lacrymales seront grandement mises à contribution. Si la candeur de ce coquillage tellement mignon nous maintiendra un sourire tout le long, cette comédie douce-amère à hauteur de crustacé est bien loin d’être naïve, maîtrisant avec brio son rythme, ses enjeux, ses ressorts dramatiques comme ses saynètes amusantes, pour nous proposer une des expériences les plus originales depuis longtemps. À ne surtout pas manquer !
Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur