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ÉTAT LIMITE

Un film de Nicolas Peduzzi

Chronique d’une mort annoncée

Dans l’hôpital Beaujon, en proche banlieue parisienne, un psychiatre essaye tant bien que mal de maintenir son service à flot et d’apporter l’aide nécessaire à ses patients…

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Jamal Abdel Kade, son nom ne vous dit certainement rien, mais pour les aficionados des contenus Konbini, son visage vous est peut-être familier. C’est lui qui apparaissait dans un format court le 14 janvier 2020 pour évoquer la décision collective de plus de mille médecins de démissionner de leurs fonctions administratives, c’est-à-dire de se limiter désormais aux simples soins de leurs patients. L’objectif était clair : tirer la sonnette d’alarme sur les conditions de travail devenues insupportables dans les hôpitaux publics. Les mois ont passé, et c’est ce même psychiatre qui est à l’honneur du documentaire de Nicolas Peduzzi, réalisateur du remarqué "Ghost Song", passé également par la section cannoise de l’ACID.

Le film s’ouvre sur un homme tatoué, marchant de dos au son d’une techno digne des fins de soirées les plus énervées. Cependant, nous ne sommes ici pas au Berghain, mais à l’hôpital Beaujon de Clichy, et la musique s’avère seulement extradiégétique. Car dès les premiers instants, un terrible constat s’impose : il n’y a rien à célébrer dans nos institutions publiques actuelles. Le protagoniste en tirera d’ailleurs lui-même un effroyable bilan : on lui parle de chiffres et de cadence, on lui demande d’augmenter la productivité, on gère un établissement hospitalier comme une usine soumise au libéralisme et en quête de profits. Si le personnel a réussi à tenir une nuit en effectif réduit, pourquoi n’y arriverait-il pas une autre ? Et pourquoi pas une semaine alors ? Un mois ? Des années ?...

Dans ce lieu aux portes de Paris, il n’est pas compliqué de compter le nombre de psychiatres : Jamal est le seul. Ce qui l’empêche mécaniquement de pouvoir s’absenter. Mais de toute façon, qui se soucie de la santé d’un médecin ? Plus que le portrait d’un homme cherchant à appliquer des protocoles modernes, où l’humain est au centre, "État limite" est l’autopsie d’un système malade, le constat de la rude réalité d’un monde où les coupes budgétaires sont plus importantes que les recrutements, pourtant si nécessaires. D’ailleurs, ses supérieurs ne comprennent pas. Pourquoi avoir besoin de prendre le temps de parler avec ses patients ? De les connaître ? De rencontrer leurs familles ? S’il enchaînait les visites plus rapidement, ce praticien-là aurait bien des moments de repos.

Jamal Abdel Kade apparaît alors comme un justicier silencieux en blouse blanche, ses convictions et, de son propre aveu, son orgueil, le poussant à envisager la psychanalyse comme une thérapie visant à créer des liens entre individus plutôt que de multiplier les prescriptions médicamenteuses à la chaîne. Si quelques effets de style n’étaient pas nécessaires au récit (les quelques fondus enchaînés notamment), le métrage transforme la photographie d’un homme en celle d’une institution souffreteuse, dont la triste évolution semble satisfaire les élites dirigeantes. Le résultat en est autant passionnant que terrifiant.

Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur

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