AUX MASQUES CITOYENNES
La vie fugace et intense d’une entreprise improvisée
Alors que la France est confinée à cause de la pandémie de Covid-19, un patron de PME de Gironde décide de créer une unité de production de masques en tissu. Sans aucune connaissance de l’industrie textile, il met sur pied cette usine provisoire en recrutant plus de 200 personnes et en cherchant un lieu adapté, du matériel, les fournitures nécessaires, des autorisations…
C’est d’abord l’histoire d’un entrepreneur un peu fou, Libero Mazzone, initialement éleveur de poulains près du bassin d’Arcachon. Un mec ultra-motivé et insouciant, un peu mégalo (et aussi un peu paternaliste à l’humour pas toujours très fin, convenons-en) mais capable aussi de valoriser les autres et de foncer tête baissée dans une aventure insensée : créer en un temps record une usine de production de masques en tissu alors qu’il n’a aucune expérience dans ce secteur.
Et puis évidemment, c’est l’histoire de ces dizaines de personnes qui l’ont suivi, avec une grande majorité de femmes aux commandes des machines à coudre – notons au passage le choix judicieux de parler de « citoyennes » dans le titre et des « lionnes » dans le surnom donné par ce patron à son équipe, activant ainsi une attitude qu’il conviendrait de généraliser : adapter le langage aux situations et féminiser quand la majorité d’un groupe concerné est manifestement féminine, au lieu de verser dans les deux extrêmes que sont la ringarde masculinisation automatique ou l’écriture inclusive parfois lourdingue.
Au fil de ce documentaire, on cerne la nécessité de faire front ensemble face aux difficultés, avec de l’écoute, de l’entraide, des petites attentions... Surgissent également, ça et là, des interrogations sur le sens et la valeur du travail : la manière de manager une équipe en trouvant un équilibre entre efficacité et humanité, la capacité d’adaptation tout en respectant le code du travail (voir par exemple la scène sur le 1er mai), etc. À mi-chemin entre le sens du collectif et l’omniprésence du patron, le film parvient aussi à faire exister d’autres individualités, comme cette ex-SDF qui dit avoir été sauvée par cette expérience ou ce Colombien qui s’est improvisé réparateur de machines et est devenu le chouchou de ces dames.
Dans la forme, "Aux masques citoyennes" n’échappe pas aux répétitions et à une réalisation conventionnelle qui donne la sensation de regarder un long reportage, majoritairement composé de témoignages face caméra (tournés durant cette période ou a posteriori) et de plans purement informatifs (montrant les actions, le matériel…). Le documentaire se montre plus cinématographique dans les moments d’excentricité (les déguisements, le petit spectacle en maillots de bain…) et surtout grâce à certaines séquences de transition. Ces dernières doivent beaucoup au montage et à la mise en musique : un remarquable enchaînement de gros plans sur les pieds et les pédales des machines sur un rythme qui swingue, une musique digne d’un film de guerre qui donne l’impression que les bruits des machines sont des mitraillettes…
Après une bonne heure d’enthousiasme, de convivialité et d’espoir, l’ambiance est plus tendue (Libero Mazzone durcit ses prises de parole et ses relations avec le personnel s’avèrent plus conflictuelles, les langues se délient…) et les questions se font plus graves alors que le confinement se termine. Individuellement, socialement, économiquement ou écologiquement, quelles leçons retenir de cette parenthèse ? Et comment allier à la fois la fierté et l’humilité vis-à-vis de ce qui a été accompli ? Le long métrage se termine toutefois avec une tonalité positive : la satisfaction d’avoir participé à cette aventure, le bonheur d’avoir fait de belles rencontres. Et une idée simple mais efficace pour conclure : sur fond de reprise du "Heroes" de David Bowie par Sophie Hunger, une galerie de portraits avec ces dizaines de personnes qui enlèvent symboliquement leurs masques pour dévoiler des sourires communicatifs et une volonté manifeste de se sentir libres !
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur