COEUR ERRANT
Un acteur habité, pour un émouvant drame intimiste
Santiago, chef cuisinier dans un restaurant à succès, est le père de Laila, jeune femme qui vit encore chez lui. Homosexuel, il ne s’est pas remis d’une rupture encore récente, et recherche affection et connexion dans des rencontres qui ne s’y prêtent pas forcément…
"Coeur errant" est un film argentin, dont l'action se situe entre l'Argentine et le Brésil, où réside la mère de Laila, la fille du protagoniste. La scène d'introduction, lors de laquelle Santiago, qui doit fermer son restaurant, raccompagne vers la sortie un homme bourré, qui gémit et affirme à qui veut l'entendre qu'il « ne sait plus comment aimer », vient heurter le regard du personnage, sans doute parce qu'il se reconnaît dans cette phrase, comme dans cet homme qui boit pour oublier. Ce regard, c'est celui de Leonardo Sbaraglia (déjà vu dans "Acusada", "Cuban Network", "Douleur et gloire" ou "Les Nouveaux sauvages"), acteur qui porte le film de bout en bout, incarnant l'incertitude, les espoirs déçus et la tristesse lisible qui en découle.
Au fil du récit, entre orgie, retrouvailles avec un ex revenu au pays, plan à trois lumineux, flirt sans lendemain du fait de la distance, son regard croise des couples plus ou moins heureux, mais toujours proches en apparence, tels un rappel accablant de ce qu'il n'a plus. Avec intelligence, la mise en scène évoque en parallèle, en toile de fond, la situation économique du pays, au fil d'un dialogue sur un loyer sur le point d'augmenter de 40%, d’une évocation d'un mari licencié et donc déprimé, d’une manifestation contre les coupures d'électricité... Une manière à la fois sans doute d'ancrer le récit dans un contexte précis de déliquescence, et de relativiser ainsi la situation du personnage principal.
Avec tact, la descente progressive de Santiago vers un fond qui permettra peut-être de renaître et d'espérer à nouveau, se déroule sous nos yeux, mêlant les destins des deux complices que sont malgré tout le père et la fille. D'une grande scène de conflit dans la maison de Luis, son ex compagnon, où l'apparition de la chanson de George Michael "Careless Whisper" en dit plus qu'on ne l'imagine en termes de sens, à un dîner de réveillon qui servira d'exutoire pour certains, les frustrations des deux personnages finiront par s'extérioriser. Le tout pour livrer au final, le portrait bouleversant d'homme déchiré, dont la tristesse légitime ressort encore plus en cette période estivale de fêtes de fin d’année, et ne peut que contaminer son entourage, aussi compatissant soit-il.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur