LA GRANDE MAGIE
Caresser l’illusion
Dans les années 1920, un spectacle de magie est proposé pour la clientèle d’un hôtel situé en bord de mer. Quand l’épouse d’un homme jaloux accepte de participer à un numéro de disparition, tout ne va pas se passer comme prévu…
Tout n’est-il qu’illusion ? C’est la grande question qui semble traverser le nouveau film de Noémie Lvovsky, librement adapté d’une pièce de l’Italien Eduardo de Filippo datant de 1948. Si la magie révèle ses trucs, avec une transparence malicieuse de la part de la réalisatrice pour jouer avec le vrai et le faux, c’est pour mieux mettre à jour l’existence quasi généralisée des mensonges, des manipulations et des non-dits dans les relations humaines en tout genre.
Ainsi, sont abordés les thèmes de l’adultère, de l’arnaque, de l’emprise ou encore de la timidité, auxquels s’ajoute évidemment l’illusion en tant qu’expression artistique, à travers les numéros de prestidigitation que dispensent les personnages, mais également avec des allusions (plus ou moins méta) à la création cinématographique et notamment aux débuts du 7ème Art, par exemple avec l’utilisation de l’accélération à des fins burlesques ou encore avec un clin d’œil explicite à Georges Méliès (un extrait de son "Escamotage d’une dame au théâtre Robert-Houdin" est inclus dans le montage en guise de transition). L’artificialité assumée passe aussi par les scènes de comédie musicale, avec le choix délibéré d’un style « brut » qui ne cherche pas à gommer les imperfections de la part d'interprètes qui ne sont pas forcément des pro du chant ou de la danse.
Sous ses airs de comédie fantasque (qui fait parfois penser aux films de Bruno Podalydès, ce qu’accentue d’ailleurs la présence de son frère Denis parmi les têtes d'affiche), "La Grande Magie" met en scène des âmes tourmentées et des corps meurtris : un homme à la jalousie maladive, une jeune femme qui souffre de problèmes cardiaques, un jeune homme à la jambe blessée, plusieurs allusions au vieillissement, un certain mépris des bourgeois envers les forains…
Tout en affirmant un goût manifeste pour la fantaisie, ce long métrage est empreint d’une certaine mélancolie, qui peut déconcerter lorsqu'elle intervient après des scènes comiques parfois grandiloquentes. Ce mélange de ton passe aussi par le choix d’une bande-son composée par le groupe Feu! Chatterton, dont le style (sorte de spleen enjoué) se marie parfaitement à celui du film (notons au passage que le chanteur, Arthur Teboul, apparaît dans un rôle secondaire).
De bout en bout, "La Grande Magie" est une expérience jubilatoire et étonnamment émouvante, bien servie par un casting réjouissant : Denis Podalydès en bourgeois candide et déboussolé, Sergi Lopez en prestidigitateur mi-poète mi-gourou, Noémie Lvovsky elle-même en assistante débordante d'énergie, Rebecca Marder en jeune fille romantique, etc. Au final, le film est guidé par une foi inébranlable en un pouvoir magique : celui qu’a l’art de nous aider à supporter les aléas de la vie.
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur