PROJECT WOLF HUNTING
Vous reprendrez bien un peu de tripes ?
Un cargo quitte les Philippines direction la Corée du Sud. À son bord des criminels dangereux escortés par des policiers à l’intégrité aléatoire. Qu’est-ce qui pourrait mal tourner ?
À la lecture du résumé du film de Kim Hong-Seon, on pense forcément au diptyque indonésien de Gareth Evans "The Raid", notamment le premier opus sorti en 2011 ; un lieu unique et clos avec affrontement musclé et sanglant entre forces de l'ordre et malfrats. On troque l'immeuble HLM délabré contre un cargo huileux et les coups de poings à la chorégraphie millimétrée par une volonté d'un cinéma excessif, bourrin et rempli d'hémoglobine. Car oui, ce "Project Wolf Hunting" ne lésine pas sur les effusions de sang, bien au contraire. Une générosité telle ravira tout aficionado de film de genre à la recherche de sensations fortes et d'une bonne tranche de rire. Là où "The Sadness" de Rob Jabbaz (autre grand choc de l'année 2022 et démonstration d'un cinéma radical et gore qui revient sur le devant de la scène) traitait son sujet et ses séquences avec sérieux et gravité (malgré quelques touches d'humour très très noir), "Project Wolf Hunting" fonce la tête baissée dans tout ce qu’il entreprend, sa mise en scène, ses personnages, son intrigue, avec comme objectif premier : nous divertir. Pendant presque deux heures c'est un véritable carnage qui attend le spectateur.
C'est avec dégoût ou avec un plaisir non dissimulé que l'on regarde bouche bée ces personnages se trancher la gorge, casser des membres, manger une oreille ou encore se faire enlever certains organes vitaux à grands coups de poigne. Le métrage s'autorise à mi-parcours de révéler un twist qui fera basculer le film dans l'horreur pure frôlant la série Z, pour notre plus grand plaisir. Twist, que les multiples bandes annonces on eut l'intelligence de ne pas révéler, qui permettra également d'inverser l'empathie du spectateur : jusqu'alors tout ce beau monde représente ce qu'il se fait de pire en matière d'espèce humaine, difficile pour nous de s'attacher à l'un d'entre eux, surtout que le cinéaste ne perd pas son temps en caractérisation (finalement, nous ne sommes pas là pour ça). Mais en introduisant son monstre à mi-parcours, le metteur en scène nous met dans une position délicate, où nous commençons à nous inquiéter du sort de ces énergumènes.
Sound-design au cordeau (que ce soit les pas lourds de la créature ou le bruit d'une cage thoracique piétinée), caméra à l'épaule captant la sauvagerie des affrontements plus que leur chorégraphie, et scénario abracadabrantesque, tout est au service de l'action pure et dure. Le contre coup est cette impression de répétition à force de voir les cadavres s’accumuler. Un parti pris d’action non-stop qui a comme revers de lasser, à force d’une inventivité qui tourne en rond. Le climax, censé être une vraie confrontation lourde de conséquences, devient un bête affrontement héros contre antagoniste qui fait l'effet d'un pétard mouillé. Jusque-là nous avons plus affaire à un film choral, sans avoir un personnage qui sort du lot plus qu'un autre. À noter la présence à contre-emploi de l'acteur de romcom Seo In-guk, en tueur cannibale tatoué de la tête aux pieds, qui fait preuve d'une glaçante prestation entre fascination et rejet total. Notre héros arrive tardivement dans le récit, ce qui empêche la mise en place émotionnelle d'enjeux dramatiques tangibles. Et alors que le duel final se déroule sous nos yeux, il nous manque une réelle envie de finir en feux d'artifice. Reste que le film se termine sur une fin ouverte qui nous donne bien envie de ré-embarquer dans une aventure décomplexée aux côtés de son réalisateur, dont les fautes de goût et les viscères ne nous font pas peur.
Hormis ses faiblesses dues à son parti pris de rollercoaster ultra énervé et cruel, notons que le cinéma gore a de beaux jours devant lui, avec notamment des nouveaux et jeunes metteurs en scène qui s'affranchissent des limites, reviennent à des effets pratiques et organiques, le tout saupoudré d'une mise en scène coup de poing. Citons ici "The Sadness" évidemment, mais aussi "Terrifier 2" de Damien Leone qui, contre toutes attentes, a réussi à exploser les chiffres du Box-Office US en fin d'année 2022. Cela a permis aux films produits avec trois francs six sous de traverser l'Atlantique et de se retrouver dans nos salles françaises. Il existe un vrai regain d'intérêt pour ce genre de films de la part du public, celui qui n'aime pas être seulement assis confortablement dans son siège, mais qui aime être pris aux tripes, bondir ou encore se payer une bonne tranche de rire. Tout ça grâce à des répliques bien sentis et à des meurtres à l'humour déviant.
Qu'un film comme "Project Wolf Hunting", avec son histoire très nanardesque et sa classification interdit aux moins de 16 ans, arrive à faire se déplace les curieux c'est déjà une victoire. D'autant que tout comme "The Sadness" (dans une moindre mesure) nous avons affaire à des artistes conscients de leur époque avec des idées pour le moins engagées. Que ce soit le nihilisme terrifiant de "The Sadness" sur l'espèce humaine ou la volonté du réalisateur Kim Hong-Seon de s'attarder sur un pan de l'histoire dans son pays. De son propre aveu en interview, il s'est inspiré des expérimentations sur des « cobayes humains » faites par les Japonais lors de la colonisation de la Corée. Le film n'est bien entendu pas un brûlot politique, mais en gardant en tête les influences du cinéaste on pourrait voir la créature du film comme le prédateur ultime. On se demande alors, entre deux têtes arrachées, « s’il arrivera un jour où l'homme considérera l'être en face comme un homme plutôt que comme un loup ? ».
Germain BrévotEnvoyer un message au rédacteur