MON CRIME
Mon crime, ma bataille
À Paris dans les années 1930, Madeleine Verdier, jeune actrice en quête de succès, est suspectée d’avoir tué un célèbre producteur de théâtre. Elle est défendue par son amie et colocatrice, Pauline Mauléon, qui cherche pour sa part une reconnaissance en tant qu’avocate. Les deux femmes comprennent progressivement que cette accusation est pleine d’opportunités…
Revoilà un François Ozon plus léger, dans la lignée de "8 Femmes" et de "Potiche". Comme pour ces deux films, le cinéaste adapte une pièce de théâtre (ici une œuvre de Georges Berr et Louis Verneuil créée sur scène en 1934) et s’en donne à cœur-joie en assumant l’artificialité du jeu et de la mise en scène. Il en ressort un long métrage rythmé, coloré et jubilatoire dans lequel les réparties fusent et les rebondissements – volontairement grandiloquents – s’enchaînent.
Le casting, pléthorique, semble prendre autant de plaisir que le public, avec des perles montantes du cinéma français (Nadia Tereszkiewicz et Rebecca Marder, et plus secondairement Édouard Sulpice et Félix Lefebvre, révélé par Ozon dans "Été 85"), une brochette d’interprètes reconnus ayant déjà tourné avec le réalisateur (Isabelle Huppert, Fabrice Luchini, André Dussolier, Michel Fau, Myriam Boyer) et des nouveaux venus plus ou moins inattendus dans son cinéma : Dany Boon, Régis Laspalès, Daniel Prévost, ou encore Franck de La Personne, que l’on n’avait plus vu sur grand écran depuis son engagement politique en faveur de Le Pen puis Phillipot, et dont on n’imaginait pas le retour avec une tel réalisateur !
Dans cette histoire d’actrice en quête de succès et de meurtre à résoudre, Ozon joue avec la notion de vérité grâce à un parallèle évident entre justice et théâtre pour tordre la question de l’authenticité (justifiant au passage son recours à une théâtralité appuyée – et peut-être aussi le fait d’affubler Dany Boon d’un accent marseillais !) et pour nuancer la valeur d’un mensonge (ou sa gravité). Le cinéaste s’amuse aussi avec les clins d’œil, mettant par exemple dans la bouche d’un personnage la fameuse citation « le trac viendra avec le talent » (attribuée tantôt à Louis Jouvet tantôt à Sarah Bernhardt). Il entretient les limites floues entre vrai et faux en semant différents détails ambigus : par exemple l’actrice incarnée par Isabelle Huppert, purement fictive, est censée être célèbre notamment pour un film intitulé "La Flûte merveilleuse" ; or il existe bien un film avec ce titre, datant de 1910, de et avec Max Linder. Il joue aussi la carte de la mise en abyme : l’héroïne, accusée d’un meurtre, tourne un film sur la Révolution, dans le rôle de Charlotte Corday.
Mais ce serait faire injure à son auteur de ne voir dans "Mon crime" qu’une simple comédie divertissante. Dans ce tourbillon de bons mots, de situations cocasses et de clins d’œil, surgissent des thématiques tout ce qu’il y a de plus sérieux. Le sujet le plus flagrant est évidemment la cause des femmes, puisqu’Ozon transpose explicitement les débats et discours de l’ère post-MeToo dans le Paris des années 30, conférant une véritable intemporalité à son film malgré les apparences rétro (comme il l’avait déjà fait avec les années 70 dans "Potiche"). Il se moque notamment des hommes effrayés par le potentiel meurtrier et émasculateur du féminisme ! De façon plus sous-jacente, notamment avec le recours au langage non verbal de Rebecca Marder, il traite aussi de la difficulté d’assumer publiquement son homosexualité. Et de façon encore plus secondaire, dans le cadre de l’entre-deux-guerres, le réalisateur évoque la dérive vers le fascisme – on aperçoit par exemple les journaux antisémites "L’Intransigeant" et "Je suis partout". On peut se demander d’ailleurs si Ozon ne prend pas un malin plaisir à maltraiter le personnage de Franck de La Personne, par exemple en lui faisant claquer la porte au nez par Rebecca Marder lors de sa première apparition…
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur