VENEZ VOIR
Conte d’hiver (enfin presque…)
Deux couples d’amis se retrouvent une nuit d’hiver à Madrid après s’être perdus de vue pendant plusieurs années. Si certains nagent dans le bonheur en raison de l’arrivée prochaine d’un bébé, ce n’est pas le cas des autres…
Parfois, il suffit d’une porte d’entrée pour monter déjà très haut… Les plans d’ouverture, quatuor de close-up sur chaque membre des deux couples du récit en plein concert d’un pianiste, sont déjà magnifiques en soi, donnant tout à percevoir en matière d’enjeux émotionnels et intimes par de simples jeux de regards, de gestes ou de mobilité. À l’image de quelques principes formels et scénographiques que certains cinéastes – d’Oliveira à Kiarostami – ont su imposer, cette très belle introduction nous laisse à penser que le nouveau film de Jonas Trueba va tenir tout entier sur un geste de cinéma radical, pour le coup à rebours des schémas narratifs traditionnels, mais garantissant un impact émotionnel non moins puissant. Du moins avant que le concert ne prenne fin au bout de dix minutes et que l’enjeu principal – les retrouvailles de deux couples après une longue absence – ne nous fasse redescendre au rez-de-chaussée.
Donnant souvent l’impression d’avoir été conçu aux antipodes de son précédent film "Qui à part nous" (qui frôlait tout de même les quatre heures de projection), "Venez voir" a semble-t-il valeur d’étoile filante pour un Trueba attaché à raconter une histoire simple et sans accroc. Le dispositif de mise en scène est ici sans ambiguïté aucune : d’abord isoler chaque couple dans des cadres distincts sous l’effet du champ/contrechamp, ensuite valser de l’un à l’autre par une succession de dialogues et de plans fixes tantôt globaux tantôt individuels qui signe de facto la prédominance du motif de la « fracture », aussi bien entre les couples qu’au sein de chacun d’eux.
Un dispositif qui va ensuite se répéter à l’occasion d’un dîner à l’extérieur, dans un cadre apparemment estival, mais au prix d’une sensation de surplace qui va dès lors prendre le dessus. A mesure que l’on sent un couple toujours plus gagné par l’inconfort et l’envie de résister à l’invitation de l’autre couple, la mécanique bavarde du film tourne à vide sans jamais déboucher sur quoi que ce soit de stimulant. En somme, après avoir lorgné sur les terres de Manoel de Oliveira, Trueba se la joue Hong Sang-soo du pauvre, et c’est bien dommage. Ne restent alors que les beaux décors ensoleillés dans lesquels on prend plaisir à suivre les personnages, et surtout cette pirouette finale très « méta » qui donne soudain un tout autre sens au titre du film. Deux maigres consolations, certes, mais c’est mieux que rien.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur