LA MESURE DES CHOSES
Un film terriblement pessimiste, qui se voulait pourtant optimiste
Une forêt que des machines dévorent. Des amas de bouteilles de verre à perte de vue. Alors que l’Homme veut dominer la nature et son environnement, provoquant pauvreté et migrations, l’auteur fait un parallèle entre les mythes de Dédale et de son fils Icare, et la situation actuelle d’un monde en plein chaos, prônant un retour à la « mesure des choses »…
S’appuyant sur un monologue de Dédale, père d’Icare, prisonnier à l’intérieur de l’immense labyrinthe qu’il a lui-même imaginé, et lui créant des ailes afin qu’il s’échappe, Patric Jean ("La Raison du plus fort") construit un film voulu onirique, fait d’impressions plus que de démonstrations, à la manière de ce que peut faire l’Italien Francesco Rossi. Dédié dans son dernier plan, envolée d’Icare et donc survol d’une mer occupant tout l’écran, à « la jeunesse qui se soulève », le film se garde bien de montrer celle-ci, hormis quelques candidats à l’émigration regardant le port de Tanger comme un lieu de mépris affiché. Tissant un lien entre les peuples du pourtour méditerranéen, il se concentre sur les excès liés à l’activité humaine, consommation du sol (la ville champignon de Benidorm), agriculture déraisonnée (les serres de la province d’Almeria), fabriques à la chaîne d’où l’humain est absent (des bouteilles de verres devenant déchets…).
Si le sentiment d’exclusion est souligné avec justesse face à un monde industrialisé et mécanisé, si la surexploitation des ressources est esquissée, si la pollution généralisée est évoquée, la démonstration des liens entre activités humaines et migrations forcées manque clairement de substance. L’ambition de l’Homme de tout mesurer et dominer, comme son inattention aux « alertes » sont certes plus impactants, mais les sujets se nuisent les uns aux autres, malgré le texte évocateur qui les accompagne. En démultipliant les belles images (il est aussi chef opérateur), les interventions de personnages sans substance, réduits eux-mêmes à un message, et en ajoutant des transitions opaques, sous forme de gestes de peinture (les créations du plasticien belge Didier Mahieu), Patric Jean finit par nous noyer sous les messages, que même sa conclusion vient brouiller, laissant malgré le dernier plan une sensation de profond pessimisme, alors que l’intention était contraire.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur