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REPRISE EN MAIN

Un film de Gilles Perret

Un grand film d’utilité publique

Comme son père avant lui, Cédric est employé dans une entreprise de mécanique de précision en Haute-Savoie. Lorsqu’il apprend que l’usine doit être cédée pour la énième fois à un fonds d’investissement, lui et ses amis d’enfance décident d’agir en usant d’un stratagème gonflé : se faire passer pour des financiers désireux de racheter l’usine. David contre Goliath : un combat perdu d’avance ? Et si…

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Il y a une image-clé qui ouvre (et qui reviendra souvent dans) "Reprise en main" : un homme en train d’escalader le flanc d’une montagne et qui peine à trouver ses appuis sur la façade, et ce alors même que la météo se montre toujours plus menaçante. Une image symbolique qui, à elle seule, résume tout le processus humain, courageux et engagé de cette première fiction de Gilles Perret. On connaissait jusqu’ici le bonhomme pour son solide background de plus de vingt ans en matière de documentaire social, qui plus est ancré dans les problématiques de sa Haute-Savoie natale. Mais en manipulant cette fois-ci l’émotion et le suspense au cœur d’une intrigue fictive, il trouve une liberté d’action que le documentaire l’empêchait de laisser éclater, adhère pleinement à ce paradoxe qui fait du cinéma un outil capable d’accéder à la vérité par le mensonge, et surtout, structure par le biais de la fiction un incroyable puits d’espoir et d’optimisme. Hors de question ici de s’en tenir à un filmage terre-à-terre qui prendrait le pouls d’un drame généralisé pour s’en contenter à des fins misérabilistes et/ou manichéennes (les frères Dardenne feraient bien d’en prendre de la graine), mais au contraire de viser l’humour, le dynamitage, la porte de sortie, l’action concrète et collective. En gros, voilà un film qui ne baisse jamais la tête, qui cherche des solutions ici et là avec la ferme intention de les dénicher, et qui braque ainsi de jolis rayons de soleil sur nos sociétés contemporaines.

Sur le fossé qui se creuse entre des ouvriers livrés aux basses manœuvres du Grand Capital et des costards-cravates soumis aux diktats économiques du cosmos libéral, Gilles Perret évite tout schématisme avec tact. Ici, les prolos n’ont rien de clichés beaufs et râleurs montés sur burnes, et les technocrates sont infiniment moins caricaturaux que les charognards capitalistes de "Caméra Café". La crédibilité est ici le maître-mot : pas une phrase qui ne sonne pas juste, pas une attitude qui ne transpire pas le vécu, pas un personnage qui ne soit caricaturé ou engraissé par rapport à d’autres… C’est la précision du regard qui fait ici toute la différence dans un film où l’humain se veut l’épicentre de tout : les petits détails du quotidien des travailleurs (contexte familial, relations d’amitié, processus d’entraide, conflits à résoudre…), les particularismes locaux qui aident à évoquer le global par le particulier (le cas du « décolletage » implique une lecture implicite de la mondialisation), la propension de certains David en slip à se montrer tout aussi malins que les Goliath en costard (retourner ici le principe, immonde mais légal, des LBO contre lui-même). Et par le biais d’un humour bien senti qui cherche moins à dédramatiser ce qui ne doit pas l’être qu’à désamorcer ce qui peut toujours l’être, Perret rend captivant et incroyablement divertissant un sujet qui avait tout pour plomber le moral, aidé en cela par un casting irréprochable aux allures de collectif soudé et équilibré (chacun fait en sorte de soutenir le jeu des autres, sans jamais prendre le dessus).

Fort d’une dose d’hilarité qui sait donner la patate et un taux optimiste que peu de films à connotation sociale ont su dégager jusqu’ici, "Reprise en main" est de ces films rares dont la prise de conscience qu’ils arrivent à propager en arrive finalement à déborder de l’écran pour interpeller le critique sur sa propre perception des choses. On osera dès lors considérer qu’un film qui prend acte d’une situation sociale terrible pour essayer de la transcender honore sa dimension d’objet filmique engagé, a contrario d’une cascade de mélodrames lourdauds qui ne cessent de se croire témoins du réel à force de peindre avec complaisance l’abattement et le déni de réactivité. Si les marges de manœuvre peuvent prendre racine et s’imposer là où on ne s’y attend pas pour faire face aux injustices et les battre sur leur propre terrain, alors la toute dernière scène du film a valeur de mantra : on garde confiance, on retient son souffle, et c’est parti.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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