FAST AND FEEL LOVE
Une comédie thaïlandaise décalée et surprenante
Kao pratique à haut niveau le sport stacking, une discipline qui consiste à empiler le plus rapidement possible des verres en plastique selon un schéma prédéfini. Avec le soutien indéfectible de sa petite amie, Jay, il s’entraîne pendant des années pour établir le record du monde. Mais leur relation n’est pas infaillible…
Sortie le 4 août 2022 sur Netflix
La première séquence donne le ton : une sorte de conseillère d’orientation remet à leur place des lycéens en échec qui rêvent d’un avenir utopique : sculptrice sur glace, rappeuse, cultivateur de cannabis… Les personnages principaux font alors connaissance : Kao, dont la seule compétence est la pratique du sport stacking, et Jay, une « étrangère » qui n’aurait pour seules talents que la maîtrise de l’anglais et sa gentillesse. Solidaire et complémentaire, ces deux marginaux se rapprochent immédiatement puis se mettent rapidement en couple avec un objectif commun : Kao doit devenir le meilleur stacker du monde et Jay est prête à s’occuper de tout le reste pour que de longues années d’entraînement portent leur fruit.
Sur plusieurs aspects, on hésite constamment sur la façon d’appréhender ce film. Le scénario est-il misogyne ou est-il au contraire une critique de la charge mentale et du sacrifice des femmes pour la réussite de leurs compagnons ? Le long métrage se moque-t-il de la superficialité des activités et rêves des personnages ou rend-il hommage à des cultures populaires injustement moquées ? Est-ce que ça ironise sur l’immaturité en appelant à la prise de responsabilité ou est-ce que ça encourage à conserver une part d’enfance quand on devient adulte ? Y a-t-il une fascination pour les sacrifices nécessaires à toute pratique sportive de haut niveau ou plutôt une dénonciation de l’égoïsme et de l’ingratitude que cela peut engendrer ?
Vous l’aurez compris, "Fast and Feel Love" entretient constamment l’ambiguïté, et cela à cause d’une tonalité elle aussi déstabilisante. En effet, en jouant régulièrement sur le décalage, le burlesque, l’absurde ou encore la parodie, le réalisateur thaïlandais Nawapol Thamrongrattanarit fait de son film un OVNI qui bouscule nos habitudes de public occidental. N’hésitant pas à flirter avec le ridicule (s’il n’y avait pas de second degré, on ne serait parfois pas très loin du nanar !), il ose des effets diamétralement opposés : souvent un montage ou des mouvements de caméra abruptes dignes d’une comédie d’action aguicheuse (avec bande-son idoine), mais aussi des répétitions, des ruptures de rythme ou une extrême lenteur qui font plutôt penser à du cinéma d’auteur. Le tout saupoudré de « métacinéma » à coups de regards caméra ou de répliques s’adressant directement au public et à ses attentes !
La mise en scène est parfois bancale (par exemple l’apparition de nouveaux personnages sans introduction) et certains détails laissent sceptiques (comment le couple a-t-il les moyens de se payer une telle demeure ?), mais l’ensemble est si inhabituel et rafraîchissant que l’enthousiasme l’emporte largement sur les imperfections.
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur