JOUR DE GLOIRE
Entendez-vous dans les campagnes… ?
24 avril 2022, deuxième tour de l’élection présidentielle française. Félix, qui vit à Melbourne depuis plusieurs années, revient en Lot-et-Garonne dans le village de son enfance après la mort de sa mère pour régler des démarches administratives, avec également la ferme intention de voter contre Marine Le Pen. Il est accueilli par Julien, son frère aîné, resté dans la maison familiale. Malgré la complicité passée et l’émotion des retrouvailles, beaucoup de choses les oppose désormais…
Diffusion en direct le 24 avril 2022 sur Arte.tv, sur YouTube et dans une trentaine de cinémas
Le projet est alléchant : tourner une fiction en direct avec des personnages supposés réagir en fonction des résultats de l’élection présidentielle française. Il convient toutefois de rappeler que, malgré la communication d’Arte sur le caractère exceptionnel de cette fiction, Canal+ avait déjà proposé en 1995 une soirée spéciale des "Guignols de l’info" où la marionnette de PPD annonçait les résultats en direct, avec ensuite des sketchs adaptés à la situation (notons que cette soirée est disponible gratuitement sur la chaîne YouTube de la défunte émission satirique). Le film "Jour de gloire" n’est donc pas aussi novateur ou inédit dans son dispositif qu’annoncé.
Ceci dit, les deux productions diffèrent sur bien des aspects et cette nouvelle expérimentation est loin d’être banale. En tout cas, on ne peut pas se plaindre des ambitions puisque le duo qui signe la réalisation (Jeanne Frenkel et Cosme Castro) n’a pas opté pour la facilité. On a ainsi droit à un long plan-séquence qui ose enchaîner des effets variés : caméra embarquée à côté d’une voiture, mouvement de grue (que l’on aperçoit d’ailleurs dans le plan aérien final), figurants qui apparaissent et disparaissent après de rapides allers-retours de caméra au gré des flashbacks et autres images mentales intégrées au récit…
Travaillant sans filet dans un décor réel sur plusieurs kilomètres, l’équipe réalise donc une vraie prouesse technique et artistique – on imagine bien les gouttes de sueurs, ne serait-ce que pour gérer les contraintes de son et de diffusion ! Évidemment, il y a bien quelques petits couacs – des bafouilles, des hésitations ou des blancs par-ci par-là – et le jeu s’avère un peu trop théâtral par moments, mais l’ensemble est admirable et il convient d’applaudir l’effort et le travail accompli.
L’intérêt de "Jour de gloire" réside aussi dans son côté « méta-cinéma », car le film ne cache pas tous ses artifices : des regards caméra, des répliques faisant subtilement allusion au processus de création et jouant sur le défi du direct, un DJ (Flavien Berger) mixant sa musique depuis un food truck, une mise en abyme avec la journaliste télé… Le scénario s’amuse aussi avec le mélange réalité/fiction en conservant pour les personnages les prénoms de leurs interprètes, et même le nom complet pour Kamel Abdessadok qui est présenté comme un véritable habitant du village (on se demande presque s’il y vit vraiment). Seule exception notable : Anna, la journaliste jouée par Julia Faure. Ce choix intrigue : serait-ce pour suggérer que les médias sont déconnectés de la réalité ?
Le récit surprend aussi car on s’attend à un scénario très politisé, mais c’est plutôt en réalité l’histoire émouvante de deux frères qui ont du mal à recoller les morceaux. L’aspect politique n’est pas tant dans l’enjeu électoral, qui est finalement plutôt une toile de fond et un prétexte, que dans la radiographie sociologique de cette France rurale. Sont par exemple explorées les notions de déracinement, via ce personnage expatrié en Australie, ou de déclassement, à travers l’aîné aigri qui oscille entre colère et défaitisme.
Avec de bonnes doses de poésie et de mélancolie, ainsi qu’une narration qui tient des frères Larrieu, "Jour de gloire" est finalement un objet filmique difficile à classer. En revanche, il faut bien avouer que la conclusion est un vrai flop, alors qu’on nous annonçait que la réaction des deux frères dépendrait des résultats de l’élection. Cette fin, clairement bâclée, n’est pas à la hauteur de la promesse ni de l’ambition de ce projet. Presque de la publicité mensongère, laissant un goût amer, qui gâche nettement les efforts qui précèdent.
PS : Exceptionnellement, je me permets une petite remarque personnelle. Il est possible que mon appréciation positive du film soit en partie due à une certaine résonance avec mon vécu. En effet, ayant vécu l’élection de 2002 depuis Melbourne, avec le traumatisme de la qualification de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour aux dépens de Lionel Jospin, je me suis particulièrement identifié au personnage de Félix Moati, qui revient de Melbourne et espère contribuer à faire barrage à Marine Le Pen.
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteurBANDE ANNONCE
Rediffusion intégrale sur la chaîne YouTube d’Arte