TOUT LE MONDE AIME JEANNE
Une bien aiguisée petite voix intérieure
Jeanne, qui a récemment subi un cuisant échec avec sa structure novatrice de récupération des déchets plastiques en mer, est en pleine remise en question. Endettée, elle doit vendre son seul bien, l’appartement de sa mère, décédée, situé à Lisbonne. Aidée par son frère, elle décide de se rendre sur place. Mais à l’aéroport, elle croise Jean, avec lequel elle était au lycée il y a longtemps…
Passé par les séances spéciales de la Semaine de la critique 2022, "Tout le monde et Jeanne" ne lâche pas d’une semelle le personnage de Jeanne Mayer, femme aux élans idéalistes, dont le projet écologique a largement fait flop (sa structure de récupération des déchets plastiques en mer a coulé lors de sa mise à l’eau…), qui voit les ennuis s’accumuler et dont l’amour propre est désormais en berne. Symbolisée par une créature dessinée à la chevelure tellement longue que l’on dirait une sorte de fantôme, sa petite voix intérieure fait donc preuve d’emblée d’un certain cynisme, détournant le qualificatif de « femme de l’année », s’amusant de son insistante envie de fumer, et réagissant à certaines de ses actions par des applaudissements, un air désespéré, ou, plus surprenant, en se prenant une bière…
Ces petites séquences animées, esquissées à coups de crayon noirs, laissant paraître de temps à autre sous la motte de cheveux, les bras ou jambes, sont parfaitement réussies, créant ainsi une sorte de double de Jeanne, qui n’oserait pas se montrer totalement. Pouvant se démultiplier, il apporte ainsi une certaine légèreté, dans les dérives imaginatives qui envahissent Jeanne lors de moments de gêne ou de culot (Jeanne Airlines…), permettant au long métrage de trouver son équilibre avec des passages plus dramatiques, où elle doit faire face à ses démons, à son ancien amant Vitor et aux souvenirs liés à sa mère. L’humour est cependant présent aussi dans certains des quelques flash-back qui font ressurgir le passé (les amusants avertissements envers les hommes, mais aussi les femmes…) comme dans certaines situations particulières (l’entrée à l’aquarium, le visionnage des vidéos réconfortantes…).
Le personnage interprété par Laurent Lafitte, passablement lourdaud, revêt différentes facettes intéressantes. Quant à Blanche Gardin, elle incarne avec aplomb cette femme, aux prises avec certaines angoisses ou doutes, sortant ici de sa zone de confort, puisque les éléments de cynisme ne viennent pas spécifique d’elle, mais de sa voix intérieure. Prouvant ainsi qu’elle peut s’éloigner de son personnage de One Woman Show, elle parvient à créer une réelle empathie chez le spectateur, curieux des efforts de cette femme paumée qui cherche à trouver un nouveau souffle. Au final, "Tout le monde et Jeanne" apparaît comme une comédie dramatique décalée, dont le ton aura de quoi donner un peu de baume au cœur, même des plus névrosés.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur