AMERICA LATINA
Perturbations
Massimo, dentiste aisé, ayant une femme et deux filles, descend à la cave de sa superbe villa située dans la banlieue de Latina, sur la côte du Latium. Là, il découvre des papiers partout et surtout une petite fille, ligotée à un pilier, qui le mord et hurle lorsqu’il s’approche. Décidant étrangement de ne rien dire à ses proches ni à la police, il referme la porte et reviendra plus tard pour nettoyer la montagne de déchets…
L’affiche de "America Latina" donne un indice sur la perturbation mentale de son anti-héros, celui-ci apparaissant de dos, le crane partiellement fêlé. Ce principe, Lucie Borleteau, l'avait déjà retenu pour l'affiche de son film "Chanson Douce", dans lequel Karin Viard jouait les nourrices un peu envahissantes et carrément perturbées. De folie il semble donc être question ici, alors que le personnage principal est progressivement contraint de s’interroger sur sa propre identité et sur les souvenirs qu’il omet, volontairement ou non. Au fil d’un récit labyrinthique, le spectateur doute, entre en empathie, et se demande la part de réalité dans cette maison comme faite de deux appartements séparés, de cette famille qu’il chérit, de cette fille prisonnière au sous-sol... Il faut donc être attentif au moindre détail pour saisir ce complexe portrait où le traumatisme semble rivaliser avec la pulsion schizophrène.
Damiano et Fabio D’Innocenzo, frères jumeaux italiens, révélés avec "Frères de sang" en 2018 et surtout le très bon et étrange "Storia di vacanze", sorti en 2021, embauchent pour la seconde fois l'excellent Elio Germano dans un rôle plus que trouble. Leur film s’inscrit d’emblée dans l’étrangeté, proposant un générique de début horizontal, défilant de gauche à droite, et avec le logo Universal en mode sifflé (ce qui ne reviendra que plus tard). Dotée de quelques fulgurances visuelles (un demi-visage à l’horizontal en plein écran, de la pluie à l’intérieur d’une voiture, une douche filmée pour que l’eau coule horizontalement…), leur mise en scène utilise aussi les reflets comme parabole des interrogations sur la duplicité du personnage (dans la vitre de la chambre, dans un bouillon…). Elle parvient cependant seulement de manière ponctuelle, à maintenir une ambiance réellement inquiétante, dans un récit où la duplicité est sans doute trop évidente pour ne pas déflorer une partie des secrets. Et entre amnésies possibles, potentielles hallucinations, usage de médicaments, paranoïa du personnage central, discussions thérapeutiques avec ses proches, influence d’un père méprisant qui le considère comme une « pleureuse », il est finalement sans doute un peu facile de perdre le spectateur avec ce nouveau portrait d’un banlieusard aisé qui perd ses repères dans son monde bien réglé.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur