LES PROMESSES D'HASAN
Sur le chemin de la rédemption
Hasan, agriculteur turc, apprend qu’un énorme pylône électrique doit être installé en plein milieu de ses champs. Il va alors manœuvrer pour que ce chantier impacte plutôt ses voisins, profitant au final de la situation, même si lui était déjà plutôt aisé. Devant réaliser un pèlerinage à la Mecque avec sa femme, il doit se défaire de toute dette, y compris morales. Il promet alors à sa femme de faire le tour de ses voisins et de ses proches, afin d’obtenir de certains leur pardon…
Semih Kaplanoğlu, auteur de la trilogie "Oeuf", "Lait" et "Miel" ("Yumurta", "Milk", "Miel") ce dernier lui ayant valu l'ours d'or à Berlin, nous revient avec le second volet d'une nouvelle trilogie entamée en 2018, intitulée "Commitment" (l'engagement), parfaitement visible indépendant du premier. Après Asli, c'est donc au personnage d'Hasan qu'il s'intéresse, agriculteur sans grands scrupules lorsqu'il s'agit de ses propres intérêts et d'argent. Avec une certaine désinvolture, il manipule ses voisins, moins chanceux que lui, pour parvenir à ses fins (qu'un pylône ne soit pas construit au milieu de l'un de ses champs), devenant au passage propriétaire d'un verger voisin. Mais quand viendra l'heure des comptes, ici provoquée par l'engagement auprès de sa femme d'effectuer le hadj (ou hajj), c'est à dire le pèlerinage à la Mecque, il va devoir demander pardon à tous ceux qu'il a offensé ou dont il a profité.
"Les promesses d'Hasan" marque d'emblée par la beauté et la luxuriance de ses décors, le metteur en scène prenant son temps pour composer des cadres tels des tableaux où chaque couleur ou positionnement des personnages a son importance. L'intrigue se dessine également avec lenteur, scrutant le comportement de chaque personnage, propriétaires ou exploitants attachés à la terre, que le monde d'aujourd'hui contraint à agir de manière intéressée et peu respectueuse de l'environnement, du tissu social voire des bonnes manières. Une certaine ironie se dégage d'ailleurs progressivement, dans la manière dont Hasan profite lui-même de certaines situations, comme dans celle dont il va être la victime (la tirade sur les paradoxes des contraintes du marché européen est assez bien sentie...).
Avec minutie, Semih Kaplanoğlu donne à voir un monde rural à la fois bousculé par la modernité et immuable dans sa profonde douceur de vivre, plongé dans une torpeur estivale et balayé par des éléments naturels qui ont leur importance (la douce lumière du soleil, les variations du vent, tous deux très travaillés...). Il esquisse des plans à la symbolique forte et laisse ponctuellement l'irrationnel s'immiscer dans le récit (la soudaine tempête au milieu des pommiers marque ainsi le sentiment de culpabilité longtemps refoulé du personnage d'Hasan...), afin de mieux nous emmener vers une triste conclusion, entre rédemption et fatalité. Une œuvre troublante et belle, à découvrir pour le dépaysement comme pour ses aspects moraux et picturaux.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur