JURASSIC WORLD : LE MONDE D'APRÈS
Le naufrage final d’une franchise
Quatre ans après l’explosion du volcan sur la Isla Nublar, les dinosaures ont pu pour certains trouver refuge aux quatre coins du monde. Même si une entreprise, BioSin, en charge d’un sanctuaire dans les Dolomites, en Italie, a le monopole de leur capture, les contrebandiers sont nombreux à s’intéresser à ceux-ci. Installés dans la Sierra Nevada, dans l’ouest de la Californie, Claire Dearing organise des commandos pour libérer des espèces dans des élevages clandestins, tandis que que Owen Grady joue les cowboys pour en maîtriser certains troupeaux. Mais un jour, le bébé de Blue le raptor, et celle qu’ils ont gardé sous leur aile, Maisie Lockwood, se font enlever…
On craignait forcément le pire avec le retour aux commandes de Colin Trevorrow derrière ce qui devrait être (on ne sait jamais) le dernier épisode de la Saga "Jurassic Park" (puis "World"). Après un premier épisode désespérément vide ("Jurassic World", 2015), pâle déclinaison en super size du premier "Jurassic Park" de Steven Spielberg (qui avait révolutionné le monde des effets spéciaux en 1993), et un second volet, "Jurassic World : Fallen Kingdom" (2018) devant son rebond au caractère inventif et au don pour l’horrifique de l’excellent metteur en scène espagnol Juan Antonio Bayona, voici que le dernier épisode de la trilogie fait à nouveau sombrer le navire, dans le monde… de l’incohérence et de l’action faussement immersive.
En effet, si l’on était prêt à accepter le concept de base, c’est à dire la coexistence forcée entre dinosaures et humains, sur tous les continents, suite à l’explosion au début de l’épisode précédent du volcan de l’île Nublar sur laquelle se trouvait autrefois le parc Jurassic World, et à la tentative de mise en place d'une île sanctuaire, il est bien difficile cette fois de ne pas ricaner face à différents postulats, égrainés au fil du récit. Il suffit de quelques scènes mêlées de supposés flash-infos, pour installer la situation : l’humanité croise donc les bestioles, plus ou moins hargneuses, et il existe un sanctuaire dans le massif des Dolomites en Italie, confié, comme l’exclusivité de la capture des spécimens, à une entreprise de génétique (BioSin). Le principe semble à nouveau porteur de questions éthiques, liées à la protection de l’environnement, mais aussi au détournement de la génétique à des fins mercantiles voire belliqueuses. En effet, de mystérieuses sauterelles géantes déciment les champs de blés, à l’exception de ceux dont les semences sont fournies par BioSin. Le suspense est donc clos lui aussi en quelques minutes, laissant donc place à l’action, seul véritable moteur du film.
Choisissant de suivre plusieurs trajectoires en parallèle (celle de Maisie Lockwood, enlevée par des contrebandiers, pour son ADN, celle des « parents » Chris Pratt et Bryce Dallas Howard lancés à sa recherche, celle des savants Laura Dern et Sam Neill acceptant une invitation de BioSin où Jeff Goldblum - en mode parodie de son propre personnage -, donne des conférences, afin de mieux démasquer l’entreprise…), l’intrigue se dirige à grands coups de faux-suspenses, vers une réunion de tout ce beau monde, dans une scène de climax qui frise tout bonnement le ridicule. En réalité, l’action se veut au maximum immersive, suivant certains personnages en multipliant les gros plans (les poursuites dans les rues sur Malte, l’atterrissage du siège éjectable de Bryce Dallas Howard…), projetant ainsi les personnages au cœur du mouvement, mais rendant l’action souvent illisible pour le spectateur. Un peu comme si le réalisateur avait oublié que pour apprécier un roller-coaster, il faut avant tout être mis dans la position de celui qui est dedans (pas celui qui regarde).
Si l’on arrive à passer outre les envahissants gros plans comme les inutiles et soudains zooms, on aurait cru pouvoir se raccrocher aux scènes classiques de la saga, dans lesquelles les personnages tentent de se faire discrets face au gigantisme et à la férocité des prédateurs (ici le Giganotosaure, histoire de pas pouvoir faire plus gros). Mais à chaque nouvelle rencontre c’est la crédibilité de l’ensemble de la scène qui est mise à mal, qu’il s’agisse du passage sur l’étendue glacée derrière un barrage (la glace rompt ou résiste un peu quand ça l’arrange…), de celle où Bryce Dallas Howard est suspendue à un arbre dans son fauteuil éjecté (la créature sent ou voit d’autres bestioles… mais pas elle, qui est pourtant face à elle ou au niveau de son nez), ou encore de la fameuse scène de « climax », où on ne sait pas trop si le dinosaure repère en voyant ou en sentant, mais n’attaque bien évidemment que quant il y a du métal pour protéger les corps de ceux qu’il a pourtant à portée de museau. Une scène tout juste aberrante, dans ses tenants et aboutissants, n’ayant pour but que d’épargner de manière totalement irréaliste tous les protagonistes, alors qu’il devrait s’agir d’un vrai carnage, afin d’éviter un classement aux moins de 12 ans qui priverait le film de bien des recettes…
En bref, les scénaristes n’en finissent plus, au fil des scènes, de se moquer du spectateur, réduisant le danger à l’anecdotique, et passant une bonne couche de green-washing sur l’ensemble, en retournant à une conclusion sur la coexistence de l’être humain avec les « animaux ». Hasard du calendrier, ils peuvent même de plus se targuer d’une certaine résonance avec la situation actuelle, les Russes déclenchant actuellement une crise agricole mondiale par le biais de la guerre en Ukraine, comme BioSin tente de le faire avec ses sauterelles mutantes. La saga s’achève donc de la plus mauvaise manière, entre personnages désormais inexistants ou totalement accessoires, action incohérente et messages écolos des plus vagues.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur