LES PIRES
Pour les pires et le meilleur !
Un tournage va avoir lieu dans la cité Picasso. Quatre adolescents sont choisis pour jouer les rôles principaux. Mais tout le monde se demande dans le quartier pourquoi avoir choisi les pires…
L'exercice du film méta est toujours délicat, en particulier lorsqu'il s'agit d'une première réalisation. Le duo de cinéastes Lise Akoka et Romane Gueret, elles, n'ont pas eu peur, rajoutant même la périlleuse contrainte de tourner avec des enfants. Jouant avec les codes du documentaire, la comédie dramatique s'ouvre sur une succession d'essais réalisés par les jeunes comédiens devant le faux metteur en scène (le toujours très bon Johan Heldenbergh), celui-ci ayant décidé de choisir "les pires" pour son projet, soit des gamins déjà cabossés par les aléas de l'existence, enfermés dans le schéma dramatique des violences silencieuses et des stigmates invisibles.
Au cœur de la cité Picasso de Boulogne-sur-Mer, les résidents ne voient pas d'un très bon œil cette incursion du 7ème Art dans leur quotidien, effrayés des énièmes clichés sur la banlieue et la mauvaise image que pourrait renvoyer le métrage, quand bien même existe la bienveillance avérée de l'équipe. Car entre la crainte de certains et le rejet d'autres (« ce n'est pas parce qu'ils existent qu'il faut les montrer »), "Les Pires" va s'amuser à tendre un miroir à ceux qui refusent d'affronter la vérité, cette misère sociale qu'on essaye de dissimuler sous le tapis, ces gosses abandonnés à eux-mêmes ou baladés de foyers en foyers.
Mais la brutalité de ce monde n'est pas uniquement celle de la société, c'est aussi celle des mômes entre eux, où les insultes ont remplacé les politesses, où une robe suffit à transformer une ado en « salope », où l'humour se limite à dénigrer autrui. Si le constat est noir, le portrait dressé est lui solaire, porté par l'énergie d'une troupe d'acteurs dont la nervosité sied à merveille leur personnages. En résulte une chronique humaniste étonnamment joyeuse qui a su émouvoir le public du Certain Regard à Cannes.
Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur