ÇA TOURNE À SAINT PIERRE ET MIQUELON
Une mise en abyme qui ne tourne pas très rond
Céline, actrice, décroche un rôle dans le nouveau film de Milan Zodowski, un cinéaste vénéré mais mystérieux, qui n’a rien tourné depuis sa Palme d’or remportée pour son unique long métrage il y a très longtemps. Elle embarque pour Saint-Pierre-et-Miquelon, où doit avoir lieu le tournage. Mais à son arrivée, l’équipe se résume à une régisseuse et un preneur de son, alors que Milan reste enfermé dans une cabane pour « créer ». Céline n’est pas au bout de ses surprises…
Le cauchemar, pour un acteur ou une actrice, c’est sans doute de s’engager dans un tournage alléchant qui vire à la catastrophe. Dans "Ça tourne à Saint-Pierre-et-Miquelon", l’héroïne accepte ainsi un projet en se fiant seulement à la réputation artistique d’un réalisateur et elle s’en mord vite les doigts. Mais cette réalité peut s’appliquer au film lui-même car il est rapidement flagrant qu’un scénario séduisant peut produire un résultat décevant voire désastreux – attention : nous n’affirmons évidemment pas que les interprètes de ce long métrage renient cette expérience, mais il y aurait de quoi !
La mise en scène de Christian Monnier, mollassonne de bout en bout, ne parvient jamais à proposer une inspiration constante ni un style cohérent, alternant comédie lourdingue digne d’une mauvaise shortcom (la séquence d’ouverture avec Claire Nadeau ressemble même au travail d’un étudiant débutant sans budget ni talent) et drame intime aux vagues airs de thriller, traité avec autant de créativité qu’un banal téléfilm de France Télévision (le groupe est d’ailleurs partenaire via la chaîne locale Saint-Pierre-et-Miquelon La 1ère). Le tout est ponctué de quelques moments plus inventifs, soit par le biais d’un humour plus décalé (mais qui tombe régulièrement comme un cheveu sur la soupe), soit grâce à un mélange de poésie, de bienveillance et d’amour de la nature. Sur ce dernier point, au moins, on peut apprécier la beauté des paysages de cette collectivité d’outre-mer peu représentée au cinéma (outre "Le Crabe-tambour" de Pierre Schoendoerffer, auquel il est fait référence dans une réplique puis dans une archive utilisée dans le générique de fin).
Tout ou presque devient poussif : les répliques sont souvent surjouées, les protagonistes manquent de profondeur et les plus secondaires sont à peine ébauchés (comme le père de l’actrice ou le photographe en kilt), la caricature tue l’émotion et vice-versa… Au final, "Ça tourne à Saint-Pierre-et-Miquelon" n’a pas les moyens de ses ambitions et la mise en abyme tombe à plat : Philippe Rebbot est à la fois trop absent et trop excessif pour donner corps à cette figure de cinéaste incompris et maudit (une parodie de Leos Carax ?) et la notoriété insuffisante de Céline Mauge est un frein pour une exploitation efficace de la frontière poreuse entre réalité et fiction (le personnage porte en effet son nom mais le récit insiste peu sur son patronyme, et son travail comme chanteuse, sous le pseudonyme Laughing Seabird, est utilisé mais insuffisamment mis en avant – quelques chansons dans la bande-son ou une affiche dans le décor).
Malgré une certaine tendresse (entre autres grâce à Jules Sitruk, qu’on prend plaisir à redécouvrir adulte, vingt ans après "Monsieur Batignole") et de rares éclats de rire, l’ennui et la gêne prennent le dessus. Pour tuer le temps, on se demande régulièrement ce qu’un tel script aurait pu donner avec un autre scénariste (Charlie Kaufman par exemple) ou un autre réalisateur (pourquoi pas Antonin Peretjako ?). Un goût de gâchis…
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur