INTERVIEW
MURDER PARTY
Nicolas Pleskof et Pablo Pauly
Réalisateur et scénariste, acteurDans le cadre de l’édition 2022 du festival Drôle d’endroit pour des rencontres à Bron, le réalisateur Nicolas Pleskof est venu présenter au public son premier long métrage, « Murder Party« , en compagnie de l’acteur Pablo Pauly.
Comment le public embarque-t-il dans la comédie au côté de l’actrice principale, Alice Pol ?
Nicolas Pleskof : C’était important d’avoir un point d’accès dans le film par quelqu’un à qui on puisse s’identifier mais qui ait en même temps une vraie fantaisie pour nous faire rentrer dans l’univers particulier du film. Alice a quelque chose de très quotidien, très attachant, de très sympathique au premier abord, mais elle a aussi une façon de jouer qui est toujours empreinte de fantaisie, elle ne joue pas de façon naturaliste. Il y a quelque chose en elle qui était au bon endroit.
Le casting mélange un peu tous les styles.
Nicolas Pleskof : C’était important pour moi de faire un casting très composite car je ne voulais pas que mon film soit identifié dans une famille du cinéma trop précise, je voulais que ce soit plus universel, donc mélanger une actrice très populaire (Alice) et des comédiens plus identifiés « auteur » (Pablo, Gustave Kervern), et aussi me permettre d’avoir des grandes icônes comme Miou-Miou et Eddy Mitchell. Ça a été un travail passionnant avec mon directeur de casting, Michael Laguens, d’aller piocher dans toutes ces familles-là. Tout le travail a été de rendre ceci cohérent.
Pablo Pauly : Ça fait un petit peu peur, au début, de voir qu’on est issu de cinémas très différents. J’ai demandé à Alice pourquoi elle fait des films plus « populaires », et elle m’a dit qu’elle voulait juste faire rire des millions de personnes. J’ai trouvé ça assez beau, car tout ce qui compte, en fait, c’est de faire plaisir au public. À partir de ça, tout est possible, Que ce soit Gustave Kervern ou Miou-Miou en face de moi, on est là pour faire un film. Et avec Nicolas, c’est tout pour l’amour du jeu. Et en tant qu’acteur, que tu fasses des films d’auteur, des films américains, de tout et n’importe quoi, on aime jouer, raconter des histoires à travers les personnages, et Nicolas nous a donné cette opportunité.
Comment avez-vous accueilli le scénario ?
Pablo Pauly : Cela faisait un peu de temps que je recevais plein de trucs qui ne me plaisaient pas beaucoup, avec toujours le même style de jeu naturaliste qu’on voit souvent au cinéma. J’aime bien faire cela mais j’en avais un peu fait le tour et je cherchais quelque chose d’un peu théâtral. Nicolas débarque, me fait lire son scénario et je trouve ça fabuleux : la langue est dingue, les personnages aussi… Puis on s’est rencontrés car il faut quand même qu’on s’entende – si le mec me déteste ou que je le déteste, le film va être long ou il ne va pas se faire tout ! Nicolas explique le sujet, les références, que c’est une dédicace au cinéma que lui aime et que j’aime aussi, donc je pars dessus les yeux fermés.
L’univers des jeux est un univers dans lequel on embarque sans vraiment se demander si le meurtre a vraiment eu lieu.
Nicolas Pleskof : C’était tout le défi : les films « Cluedo », les whodunit, sont des films très codifiés, qui sont aussi plein de poncifs conscients. En général, quand on voit ce genre de film et qu’on voit arriver le meurtre, on se dit toujours qu’il y a un truc, que quelque chose s’est passé, qu’il n’est pas vraiment mort, etc. Tout le travail a été de précéder cette attente en faisant en sorte que tout soit jeu : quand on arrive dans ce manoir, ils sont en train de jouer, ils sont dans un univers de jeux, César fait semblant de jouer à la roulette russe, Jeanne amène son projet… Tout est tellement posé comme étant un jeu que, à partir du moment où César meurt, on se dit que c’est le seul truc vrai dans cet univers où tout est fake. D’habitude, on est dans un univers plus réaliste. La direction artistique, au sens large, c’était la seule esthétique possible pour moi car j’ai pensé le film comme un Cluedo dans un Cluedo. Il fallait que l’univers soit ajusté à la folie du scénario, donc le décor est montré comme une maison de poupée, les costumes sont excessifs, les acteurs jouent avec l’excès, tout est éclairé comme si on était sur un plateau de cinéma des années 50… Paradoxalement, comme tout est fou, on est prêt à accepter tout.
Comment avez-vous conçu les décors et l’univers graphique en général ? Était-ce tout présent à votre esprit dès l’écriture ?
Nicolas Pleskof : Je savais tout de suite que l’esthétique serait proche de l’univers de cartoon et d’un certain cinéma hollywoodien des années 50. Je savais par exemple quels types de couleurs et quel format d’image je voulais… Après, on fait avec les aléas de ce qu’on trouve. Il y a deux tiers de décors réels et un tiers en studio. J’ai eu une chance folle parce que le manoir qu’on a trouvé était dingue : on l’a accessoirisé mais il était très proche de ce que vous voyez dans le film (NDLR : il s’agit du château de Regnière-Écluse, dans la Somme). Pour les chambres reconstruites en studio (NDLR : au Pôle Pixel à Villeurbanne), j’ai voulu une esthétique du too much, de la saturation. Il fallait construire quelque chose qui soit à la fois ludique et étouffant.
Tourner en studio est-il un avantage ou un inconvénient ?
Nicolas Pleskof : C’est plus rassurant, surtout quand c’est un premier film et qu’on est dans une obsession de maîtrise. Mon film est millimétré, aucun plan n’est improvisé, on a tout écrit, tout dessiné. Tourner dans un décor fermé permet maîtriser la lumière, le cadre…
Pablo Pauly : Pour nous, c’est beaucoup plus compliqué car tout est très fabriqué en studio : il n’y a pas de plafond, pas tous les murs, et 40 personnes devant toi qui te filment... Il faut imaginer, faire « croire que ». Faire l’acteur, c’est un art de menteur, on fait semblant, mais avec le maximum de vérité possible, donc en studio ce n’est pas fastoche !
Comment s’est fait le choix des couleurs des costumes, associées à chaque personnage ?
Nicolas Pleskof : Je voulais qu’il y ait un côté « pion » et que chacun ait son identité très précise. Jeanne (NDLR : Alice Pol), je voulais qu’elle ait un bleu un peu sombre, un peu profond, parce que ce personnage, au début du film, est fermé à ses émotions, elle est un peu rigide. Théo (NDLR : Pablo Pauly) incarne le désir, la passion, donc le rouge. Pour moi, Léna (NDLR : Sarah Stern) devait être en vert, aussi parce qu’elle est rousse et que ça allait bien avec son teint. En fait le choix s’est fait plutôt à partir de l’identité des comédiens : par exemple, j’ai trouvé tout de suite que le rose irait bien à Pascale Arbillot.
Le film fait en partie penser à "Huit femmes" de François Ozon.
Nicolas Pleskof : C’est évidemment une grande référence, c’est un film que j’adore. Les whodunit sont des films extrêmement « méta », qui font beaucoup référence aux films qui les ont précédés. "Huit femmes" est un maelstrom de références, il fait penser à Hitchcock, à Douglas Sirk… En fait c’est un genre pop qui appelle à la digestion de centaines de références. Parmi mes autres références, il y a le film "Cluedo" qui est sorti dans les années 70, “Un cadavre au dessert"… Tous ces films passent un certain temps à réfléchir au genre lui-même donc c’est idéal pour tout cinéphile car c’est une façon ludique de parler de cinéma.
Comment savoir que son propre film est réussi ?
Nicolas Pleskof : Un film comme ça, c’est très risqué, parce que c’est un premier film, parce que c’est une comédie, parce que ça joue avec le grotesque et le burlesque... Ce genre de film, si c’est raté, c’est très raté ! Une comédie foirée, ça ne sera jamais charmant ! Pour se lancer dans un genre aussi risqué, il faut savoir où on veut aller, Il faut faire confiance à ce qui vous fait rire. Je pense que la seule façon de faire, c’est d’être en ligne droite : en général, la première impression est bonne. Même quand on écrit un scénario, qui est une étape où on passe son temps à douter, on revient quasiment toujours aux premières impressions et aux premières idées. Sur un tournage, vous n’avez pas le temps et pas le droit de douter ! Le film est peut-être raté mais je réfléchis plutôt en termes d’honnêteté intellectuelle : est-ce que le film est exactement comme je voulais le faire, est-ce que je suis honnête avec moi-même ? Si j’ai une mauvaise critique, il faut que je puisse en vouloir au goût de la personne qui n’a pas aimé, et non à moi qui aurais mal fait les choses.
Vous avez travaillé sur le scénario pendant 4 ou 5 ans, puis tourné ce premier film. Quand on est jeune réalisateur, de quoi vit-on ?
Nicolas Pleskof : Il y a deux grands profils : les réalisateurs « techniciens » qui, pendant qu’ils écrivent leurs films, réalisent des pubs, des films de commande ou des téléfilms, et il y a les scénaristes comme moi. J’écris pour la télé, notamment beaucoup de séries d’animation pour les enfants.
Raphaël Jullien Envoyer un message au rédacteur