LA MAISON
Une maison hantée pour nous guider vers la lumière ?
À trois époques différentes, une même maison perturbe la vie de ses occupants…
Sortie le 14 janvier 2022 sur Netflix
Constitué de trois segments à la fois indépendants et connectés, "La Maison" est une proposition de cinéma d’animation ensorcelante et déroutante, à destination d’un public strictement adulte (voire ado, mais il n’est pas certain que ça plaise à ces âges-là). Les trois récits sont liés par un décor commun, une mystérieuse maison bourgeoise, occupée par des personnages différents à trois époques indéterminées.
La première partie, coréalisée par Emma De Swaef et Marc James Roels, séduit à la fois pour son esthétique minutieuse et pour son ambiance inquiétante. L’animation en volume utilise avec brio des textiles divers, tirant ainsi profit de textures variées. Manifestement située au XIXe siècle et probablement au Royaume-Uni, le récit construit efficacement ses personnages en quelques minutes. On comprend ainsi que la dégradation du statut social du père et le mépris de leurs proches conduisent le couple à vendre leur âme pour accéder à une vie plus cossue et considérée. La mise en scène débute par ailleurs avec une intelligente illusion en mettant d’abord en avant la maison de poupées de la fillette, puis celle de la famille, avant que l’on ne comprenne que la maison du titre n’est pas l’une de ces deux demeures.
Dès que le père accepte la proposition d’un étrange architecte (qui leur construit gratuitement une bâtisse somptueuse avec des contreparties apparemment insignifiantes), le film bascule dans une noirceur fantastique qui intrigue tout autant qu’elle donne des frissons, surtout si l’on s’identifie aux attachantes petites filles (notamment à l’aînée car c’est avant tout de son point de vue que l’on découvre cette histoire). Le public de Netflix pourra par ailleurs faire quelques parallèles avec un autre film lugubre de la plateforme : "Kadaver". Si la fin de ce premier segment peut générer un peu de déception (car on n’a pas vraiment d’explication sur les desseins de l’architecte), cette fable noire pose la tonalité inquiétante de l’ensemble et elle est à lire métaphoriquement. Le choix du textile comme matériau peut être un indice d’interprétation, ironisant sur l’attrait du confort qui conduit les parents à oublier l’essentiel : leurs enfants, les petits bonheurs, leur passé... Comme un symbole de l’aveuglement des « nouveaux riches » qui oublient d’où ils viennent ?
Le deuxième segment, réalisé par Niki Lindroth von Bahr, nous transporte à une époque contemporaine (on le comprend grâce à la présence des téléphones et ordinateurs portables). De prime abord, un goût amer domine pour deux raisons : d’une part parce qu’il est probable que l’on ne sache jamais ce qui est advenu des deux fillettes du premier segment, d’autre part car on bascule dans une esthétique différente, avec d’autres textures et surtout des animaux anthropomorphes, ce qui rend la transition bizarre. On reste toutefois dans l’animation en volume (qui évoque plutôt "Fantastic Mr. Fox") et l’atmosphère vire à nouveau, mais plus progressivement, vers une forme d’épouvante avec une sorte de malédiction invisible et pernicieuse. Le décor est a priori moins sombre, puisque personnage principal (une souris interprétée vocalement par le chanteur Jarvis Cocker) rénove la demeure avec la volonté d’en tirer du profit, mais l’inquiétude pointe son nez d’abord sous la forme d’insectes et autres bestioles qui envahissent la maison (dont une chorégraphie qui évoquera peut-être les protagonistes de "James et la Pêche géante" voire, dans un tout autre genre, les cafards chanteurs de "Bienvenue chez Joe"), puis avec des clients énigmatiques et glaçants. Si cette deuxième partie est moins convaincante, elle aboutit néanmoins à une ambiance croupissante qui s’avère cohérente avec la fin de la première partie.
Avec le troisième segment, réalisé par Paloma Baeza, on s’attend à un nouveau changement de style mais on reste finalement dans la continuité du précédent, à ceci près que les personnages sont désormais des chats. L’héroïne a des préoccupations proches de celles de son prédécesseur, puisqu’elle tente également de restaurer l’habitation, mais elle pense plus au bien-être qu’aux bénéfices, ce qui ne l’empêche pas d’être préoccupée par les difficultés financières. L’environnement a changé également puisque les alentours sont inondés, isolant la maison sur une île (autrefois le sommet d’une colline comme on a pu le voir dans le premier segment). Malgré ce décor de fin du monde, la lumière est globalement plus douce et ce chapitre final s’avère plus lumineux et moins menaçant, bien que le surnaturel vienne à nouveau s’immiscer et effrayer la protagoniste principale. Notons qu’un personnage est doublé par Helena Bonham Carter, sa présence accentuant l’aspect « burtonien » de "La Maison".
Au fil de cette anthologie, la musique composée par Gustavo Santaolalla (à qui on doit notamment les partitions du "Secret de Brokeback Mountain" et de "Babel") accompagne somptueusement les nuances des trois segments tout en proposant une composition cohérente sur l’ensemble. Quand arrive le générique de fin, la chanson "This House Is…", interprétée et coécrite par Jarvis Cocker, devient une clé de lecture de ce captivant métrage. En mettant en parallèle les termes anglais « house » et « home » (soit « maison » et « foyer »), les paroles nous indiquent finalement que, si nous voulons éviter de nous égarer, une demeure, aussi magnifique soit-elle, ne doit pas nous aveugler ni être vénérée pour ce qu’elle promet (son confort, ses signes de réussite, son potentiel financier…). Il convient plutôt de la peupler de vie, d’authenticité, de rêves et de partages. Une conclusion pleine de lumière pour une admirable comédie noire.
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur