THE INNOCENTS
L’enfance dans les tripes
Durant l’été, des enfants d’un même quartier découvrent qu’ils possèdent des pouvoirs surnaturels. Ils jouent en testant ces nouvelles capacités. Mais cela risque de ne pas se limiter aux amusements…
Coscénariste des films de son compatriote Joachim Trier et déjà habitué au genre fantastique avec "Thelma", le Norvégien Eskil Vogt réalise aussi ses propres films. "The Innocents", présenté pour la première fois à Cannes en 2021 dans la section « Un certain regard », est son deuxième long métrage après "Blind", sorti en 2015. Noir et inquiétant, se focalisant sur des enfants dans un quartier constitué d’immeubles plutôt impersonnels et froids, "The Innocents" fait rapidement penser à un chef d’œuvre du cinéma scandinave : "Morse" du Suédois Tomas Alfredson.
Si ce film ne réinvente pas forcément le genre fantastique, il s’en réapproprie les codes avec brio. Progressivement, la mise en scène, tantôt sobre, tantôt intense, nous plonge littéralement dans le ressenti des enfants. Le fantastique devient alors une manière de détourner leur apparente innocence. Vivant dans un monde qui échappe partiellement aux adultes, les enfants peuvent en effet être cruels entre eux ou avec les animaux.
C’est ce que traduit Eskil Vogt en dotant quelques enfants de pouvoirs surnaturels qu’il faut concevoir comme symboliques. Ces capacités hors normes posent en effet la question des limites et des repères que peuvent avoir les enfants. La quasi absence des adultes interroge par ailleurs les responsabilités de ces derniers, notamment celles des parents : ils ont pour vocation d’accompagner les plus jeunes, de les guider, de leur apporter des jalons éthiques, etc. Or, quand les enfants sont plus ou moins livrés à eux-mêmes, cela favorise les déviances. Nuançons tout de même : il n’y a aucun déterminisme et, malgré l’âge, tout gamin peut développer, presque naturellement, diverses attitudes positives, comme l’empathie et la solidarité. La diversité des protagonistes va dans ce sens : la méchanceté n’est ni innée, ni inexorable.
On peut se demander pourquoi l’un des protagonistes devient si cruel (la relation avec sa mère aurait gagnée à être plus développée) mais "The Innocents" se présente évidemment comme une métaphore du rejet et des possibles réactions pour se défendre : l’autisme, l’origine étrangère ou l’apparence physique (plus précisément ici la dépigmentation due au vitiligo) deviennent ainsi des faiblesses qu’il faut parfois compenser. Comme souvent dans la fiction, les superpouvoirs des enfants concernés ont des fonctions cathartiques et transgressives. Ainsi, ils évoquent la douleur des marginaux, et ils matérialisent des frustrations et des colères qui peuvent être gérées de bien des manières.
Si certaines scènes peuvent être difficiles à soutenir, le film ne porte aucun jugement sur les comportements des enfants. On ressort donc de ce film doublement primé à Gérardmer (Prix du public et Prix de la critique) lessivé et bouleversé, en partie parce qu’il est impossible de leur en vouloir totalement pour leurs actes, aussi effrayants soient-ils. Si vous avez des enfants, peut-être que vous les regarderez autrement après avoir découvert "The Innocents" !
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur