L'ÉTAU DE MUNICH
Quand l’Histoire frappe à la porte, faut-il l’ouvrir ?
En 1938, Adolf Hitler masse ses troupes à la frontières tchécoslovaque dans l’intention de s’emparer de la région des Sudètes, dont la population est majoritairement germanophone. Neville Chamberlain, Premier ministre britannique, croit en une solution diplomatique pour empêcher un nouveau conflit européen…
Sortie le 21 janvier 2022 sur Netflix
On ne compte plus les films sur la Seconde Guerre mondiale, sujet inépuisable qui continuera d’inspirer de nombreuses œuvres. "L’Étau de Munich" fait toutefois partie d’une catégorie plus restreinte de longs métrages se focalisant sur l’immédiat avant-guerre, et plus précisément ici sur un évènement majeur : les accords de Munich, signés par les dirigeants allemand, italien, britannique et français en septembre 1938.
Cette conférence est souvent vue comme une forme de lâcheté de la part des Britanniques et des Français, et d’une trahison envers leurs alliés tchécoslovaques. On peut difficilement évacuer cette perception, par respect pour les peuples qui ont alors été livrés en pâture aux Nazis sans qu’on ne prenne la peine de les consulter. Toutefois, l’Histoire n’est pas quelque chose que l’on peut juger si facilement et analyser de manière simpliste.
Ainsi, le film de Christian Schwochow ("De l'autre côté du mur"), qui adapte un roman de Robert Harris, propose une vision plus subtile des accords de Munich, certes critiquable mais non dénuée de pertinence. D’une part, la volonté de préserver la paix est présentée comme un mélange d’espoir et de naïveté plutôt que d’égoïsme et de cynisme. Ensuite les efforts diplomatiques de Chamberlain (impeccablement interprété par Jeremy Irons) sont vus comme des éléments ayant permis de retarder d’un an le conflit et ainsi permettre aux Alliés de mieux se préparer à affronter les Allemands. Notons tout de même que le film est sans doute trop hagiographique concernant Chamberlain (beaucoup le jugent plus sévèrement et crieront au révisionnisme) et que, par ailleurs, l’implication de Daladier, simple figurant dans ce récit, est marginalisée, comme si le Premier ministre britannique avait tout orchestré seul.
Que cette analyse soit crédible et réaliste n’est toutefois pas vraiment le problème, d’autant que les personnages fictifs brouillent l’authenticité des faits. En mêlant récit historique, film d’espionnage et drames intimes, "L’Étau de Munich" pose surtout des questions insolubles : que faire quand on est tiraillé entre la défense des siens (famille ou patrie) et le devoir de soutien ou de solidarité vis-à-vis des autres ? Peut-on juger a posteriori des actes dans le confort du présent, quand on sait ce qui s’est passé ensuite ? Comment trouver un équilibre entre dialogue et intransigeance ? Un film historique n’a vraiment de valeur que lorsqu’il entre en écho avec la période durant laquelle il est produit. Or, c’est bien le cas ici. Toutes proportions gardées, on peut difficilement s’empêcher de comparer la situation de 1938 avec les agissements actuels de la Russie de Poutine aux frontières de l’Ukraine voire avec l’attitude chinoise à Hong-Kong ou envers les Ouïghours, et s’interroger sur la marge de manœuvre des Européens et Américains qui souhaiteraient à la fois empêcher des conflits de grande ampleur et rester fidèles aux principes qu’ils défendent vis-à-vis des peuples visés ou opprimés.
Si la mise en scène de Christian Schwochow ne révolutionne rien en termes de cinéma, elle rend ces questionnements possibles grâce au dépassement des frontières, avec la construction de liens ténus entre deux personnages fictifs respectivement britannique et allemand (interprétés par George MacKay et Jannis Niewöhner), et avec quelques transitions qui rapprochent les espaces filmés (par exemple une porte qui semble s’ouvrir dans une pièce allemande puis l’apparition d’un personnage britannique nous faisant comprendre qu’on a basculé dans l’autre pays). Les protagonistes allemands nous rappellent également la nécessité de ne pas envisager l’histoire de façon manichéenne : une partie de la population allemande a résisté (ou tenté de résister) au régime nazi, y compris parmi ceux qui ont un temps été séduits par la volonté d’Hitler de redonner de la fierté à son peuple – là aussi, ne faudrait-il pas faire un parallèle avec le succès des divers discours populistes contemporains
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur