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LES SORCIÈRES DE L'ORIENT

Un film de Julien Faraut

Une réussite volley pas volée

Dans les années 1960, une équipe d’ouvrières est choisie pour représenter le Japon dans les compétitions internationales de volley-ball. Leurs succès fulgurants surprennent le monde entier et elles deviennent des symboles de réussite dans un Japon en pleine reconstruction depuis 1945…

Les Sorcières de l'Orient film documentaire documentary movie

Après s’être intéressé au tennis avec le remarquable "L'Empire de la perfection", Julien Faraut se tourne vers le volley-ball avec "Les Sorcières de l'Orient". Responsable des archives 16 mm de l’INSEP, le documentariste fait à nouveau preuve de bio pour s’approprier le matériau filmique dont il a la charge. À la manière d’un Chris Marker (auquel il a d’ailleurs consacré un autre film, "Regard neuf sur Olympia 52"), Faraut se montre capable de dépasser un sujet a priori principal pour explorer des pistes multiples, pour le faire dialoguer avec d’autres thèmes et pour expérimenter le média cinématographique avec un discours parfois méta (comme des réflexions sur la valeur des images ou des commentaires sur la façon même dont le film qu’on regarde a été pensé et réalisé).

Ainsi, en donnant l’impression initiale qu’il ne va faire que conter l’histoire de cette extraordinaire équipe de volleyeuses japonaises grâce aux archives et au témoignage rare de certaines de ces discrètes héroïnes (ce qui serait déjà passionnant en soi), Julien Faraut parvient par exemple à développer divers contextes culturels ou géopolitiques : les mœurs et la mentalité du peuple japonais et les différences avec l’Occident (par exemple la perception symbolique des sorcières), les efforts de reconstruction du Japon après 1945, la Guerre froide, etc. C’est d’autant plus admirable que le récit reste intelligible alors que le film est exempt de voix off, son réalisateur se contentant de quelques cartons écrits sur fond bleu et se satisfaisant la plupart du temps du son des témoignages et des archives.

Magnifiant le potentiel des documents qu’il exploite (dont d’impressionnantes images en couleur des entraînements des années 60 qui mettaient à profit tout le langage cinématographique : gros plans, mouvements de caméra…), le réalisateur s’autorise également des distorsions, malaxant son matériau sans lui manquer de respect dans une démarche expérimentale qui n’altère aucunement le fond du documentaire. Ces effets de style apportent au contraire dynamisme ou symbolisme, comme lorsque Faraut fait pivoter l’image pour accentuer notre perception de l’effort physique des joueuses. De même, il s’autorise une mise en musique à mille lieues du classicisme documentaire, privilégiant notamment des mélodies électro que l’on pourrait croire anachroniques mais dont les aspects répétitifs ou minimalistes s’allient étonnamment avec les images d’après-guerre, accompagnant par exemple la mise en avant du sens de l’effort ou de l’histoire ouvrière. Dans la bande-son, on retrouve ainsi le titre "Machine Gun" du groupe Portishead, qui donne l’impression d’avoir été composé pour illustrer des rebonds de ballons lancés indéfiniment ! Même réussite avec les musiques originales composées par Jason Lytle (leader du groupe Grandaddy) ou par K-Raw (déjà responsable d’une partie de la BO de "L'Empire de la perfection"), qui s’intègrent somptueusement au montage.

Enfin, il convient de souligner la façon dont Julien Faraut intègre à son documentaire des références à la culture populaire japonaise, avec les darumas (des sortes de culbutos traditionnels), un vieux court métrage d’animation de 1935 ("Ban Danemon Bankemono Taiji no Maki" de Yoshitaro Kataoka, qui introduit le long métrage avec la thématique des sorcières) et surtout avec les mangas et animés, puisque bon nombre d’entre eux ont mis en scène le volley féminin après les exploits des Japonaises aux mondiaux et JO des années 60 (rappelez-vous de "Jeanne et Serge", le seul vraiment connu chez nous, dont une illustration apparaît brièvement dans le documentaire). Il signe ainsi un brillant mash up en alternant des plans de compétitions ou d’entraînements et des extraits de la série "Attack N°1", et il accentue le côté « pop » de son documentaire en présentant par exemple les volleyeuses avec des sortes de « fiches personnages » dignes de cartes Pokémon !

Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur

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