SUNLESS SHADOWS

Dans un pays aussi peu démocratique que l’Iran, où l’aveuglement religieux pousse la justice à être inique et la société à se méfier de toute proximité entre femmes et hommes n’ayant pas de lien familial ou marital, "Sunless Shadows" est un document exceptionnel et on se demande comment un homme a pu avoir l’autorisation de filmer intimement l’intérieur d’un centre de détention pour jeunes filles ! Le résultat est d’autant plus précieux que ces filles et ces femmes, que Mehrdad Oskouei filme et interroge (il va aussi dans une prison pour les majeures, même si le film se focalise plus sur les ados), se livrent presque sans filtre. Outre la confiance qu’elles accordent au réalisateur, elles sont aidées en partie par un dispositif leur permettant de se confier seules face à une caméra – le cinéaste filmant aussi, de dos donc avec une grande pudeur, leurs mères et sœurs prenant connaissance de ces vidéos.

Le contexte et les témoignages de ces Iraniennes nous conduisent à avoir de l’empathie pour elles, car elles apparaissent bien plus comme des victimes que comme des meurtrières. Il ne s’agit évidemment pas de faire l’apologie du crime, ni de la part du réalisateur ni de notre part, mais le constat est là : ces femmes et ces filles n’ont pas vraiment eu d’autre choix que de tuer pour se défendre face à cet impitoyable société paternaliste qui les humiliait et ne leur offrait aucune protection. Comble de l’absurde : les adolescentes filmées par Mehrdad Oskouei se sentent plus épanouies et plus en sécurité dans leur centre de détention, et le seraient encore plus si leurs mères et sœurs majeures ne vivaient pas dans une autre prison en attendant, pour beaucoup, leur probable exécution.

Les paroles recueillies choquent souvent, par exemple quand on apprend le chantage ignoble de leurs proches masculins pour qu’ils acceptent de les pardonner. Une scène est encore plus frappante, quand on se rend compte que, malgré les apparences d’une sororité solidaire au sein du centre, les jeunes filles ont tendance à se juger mutuellement, à penser que les autres sont plus coupables qu’elles-mêmes. Cette séquence montre encore plus le poids de la société, l’embrigadement, la difficulté à critiquer pleinement les mœurs et la morale qu’on leur impose.

Mehrdad Oskouei est cependant parfois pris au piège de ses propres choix de réalisation, car "Sunless Shadows" est un peu confus ou frustrant, par exemple quand il s’agit de comprendre de qui ou de quoi ces filles et femmes parlent. Mais cela n’empêche pas la force de ce documentaire qui, en donnant régulièrement l’impression de proposer des vues subjectives avec les plans de coupe (barreaux, gardiens…), accroît sa capacité à nous faire ressentir leurs émotions, leur désarroi, leurs espoirs aussi…