UN HÉROS
Un chef d’œuvre de subtilité
Rahim, emprisonné faute d’avoir pu payer ses dettes, profite d’une permission pour rendre visite à son beau frère sur un chantier archéologique, puis tente de convaincre son créancier de retirer sa plainte. Pour cela, il propose de lui verser la moitié de l’argent qu’il doit, et de trouver un boulot afin de rembourser le reste. Alors que sœur pense qu’il a fait appel à un usurier pour trouver cette somme, pris de remords, il avoue avoir trouvé un sac plein de pièces d’or à un arrêt de bus et, comptant rendre l’argent à son propriétaire, fait paraître une annonce…
Présenté à Cannes en compétition, "Un héros", nouveau film de l’iranien Asghar Farhadi, faisait figure de grand favori, jusqu’à ce que "Titane" lui dame le pion, à la surprise (presque) générale. Le film sera donc reparti de la Croisette avec le Grand Prix, un peu comme ce fut le cas pour Nikita Mikhalkov avec "Soleil Trompeur" en 1994, Quentin Tarantino l’ayant finalement remporté en empochant la Palme avec son ludique "Pulp Fiction". Nul ne sait encore si Julia Ducournau aura une carrière de la dimension de celle de Tarantino, mais la rencontre de ses talents de réalisatrice avec un véritable scénario pourrait sans doute faire un jour des étincelles.
Avec le portrait d’un prisonnier pris en étau entre machine judiciaire et perception de son acte dans son entourage, mais aussi dans les médias ou réseaux sociaux, Asghar Farhadi signe avec "Un héros" un film de la trempe de ses films les plus marquants ("A propos d’Elly" et "Une séparation", tous deux primés à Berlin), qui ont fait sa renommée internationale. Fin observateur, le metteur en scène iranien, qui a su mêler ses questionnements moraux aux contextes d’autres cultures (française avec "Le Passé", espagnole dans "Everybody knows") revient ici avec un scénario à tiroir, à la fois complexe et implacable, interrogeant derrière les zones d’ombre de son personnage central, le comportement de toute une société empreinte de suspicion.
Et le film s’avère à la fois passionnant, profondément troublant, et porté par un casting d’une immense justesse, avec en tête d’affiche l’acteur Amir Jadidi, affichant un sourire trouble entre séduction et gêne, laissant transparaître le doute derrière son calme apparent. Son scénario revêt de multiples facettes, interrogeant les notions d’honnêteté, de générosité et d’intérêt personnel, tout en questionnant la responsabilité des médias et des réseaux sociaux sur l’image des gens, tout comme les fondements de la charité et du mérite. Le titre renvoie ainsi fort à propos à toutes ces thématiques, alors que le film, à la subtile mise en scène, relate l’ascension et la descente aux enfers de cet homme lambda, dont le geste, en apparence noble, sera disséqué sous toutes les coutures. Un brillant film sur la véracité des faits et la capacité des motivations individuelles ou collectives à tordre la vérité, à grands coups de secrets, d’omissions, ou de soupçon. Un grand film politique en quelques sortes.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur