MEURTRIE
Recoller les morceaux
Jackie Justice est une ancienne championne de MMA, tombée en disgrâce après avoir fui son dernier combat alors qu’elle était invaincue jusque-là. Désormais vouée à une vie plus anonyme et miséreuse, elle voit son quotidien doublement bouleversé : d’abord une opportunité de revenir dans un octogone, mais aussi, après la mort d’un ex-conjoint, la charge du fils qu’elle avait abandonné…
Sortie le 24 novembre 2021 sur Netflix
Pour son premier film comme réalisatrice, Halle Berry se met elle-même en scène dans un rôle âpre : une ex-combattante de MMA rongée par de nombreuses blessures qui ne sont pas seulement physiques. Après une scène d’ouverture filmée en grande partie en vue subjective pour évoquer la fin de son ancienne carrière sportive, le personnage est montré dans un quotidien misérable, avec des attitudes allant de la colère à la résignation.
Au fil des séquences, Jackie Justice (un nom qui n’est évidemment pas choisi au hasard) incarne plusieurs visages des combats féministes. Côté face, c’est une battante, une rebelle, une femme qui peut susciter l’admiration et le respect, ou encore la preuve que l’on peut attirer public et argent avec le sport féminin. Côté pile, c’est une femme humiliée, qui ne parvient pas à dire non quand son mec abuse d’elle ou la bat, mais aussi une travailleuse précaire, une mère qui porte la culpabilité de ne pas avoir assumé son enfant...
Encaisser et avancer en même temps, voilà qui peut résumer cette héroïne confrontée à tant d’obstacles et de souffrances. Et n’allons pas croire que le film force le trait : ce qu’elle vit est malheureusement réaliste, c’est le lot de bien des femmes de notre monde. Halle Berry ne ménage pas sa peine pour incarner cette percutante Jackie, livrant une performance bouleversante qui peut rappeler en partie celle qui lui avait valu un Oscar en 2002 pour "À l’ombre de la haine".
Côté mise en scène, même si elle ne révolutionne rien, Berry ne démérite pas non plus. Jamais manichéen, "Meurtrie" construit des personnages complexes, pour la plupart conscients de leurs propres faiblesses ou vices. Pour compléter le parcours de combattante de Jackie, le long métrage l’entoure ainsi de personnages qui participent, parfois malgré eux, à sa renaissance progressive : un conjoint toxique (Adan Canto), pas forcément fier de ses pulsions mais incapable d’évoluer ; un jeune fils mutique (Danny Boyd Jr) qui apporte son lot de tendresse et pousse Jackie à sortir de sa pudeur émotionnelle ; une mère alcoolique (Adriane Lenox) qui n’a pas su protéger sa fille des abus qu’elle a vécus durant son enfance mais qui s’occupe désormais de son petit-fils quand il le faut ; une coach à la fois zen et déterminée (Sheila Atim, excellente) dont la justesse des mots et des gestes touche Jackie sur bien des aspects…
Quand arrive le combat intense que le récit nous promet quasiment depuis le début du film, on redoute une fin stéréotypée. Pourtant, le long métrage se termine dans un entre-deux : ni vrai happy end ni dénouement tragique. La conclusion est en fait cohérente avec tout le reste : rien n’est vraiment tout rose ni tout noir, Jackie peut garder espoir mais doit lutter constamment. En fait, ce sont ses meurtrissures qui la font avancer.
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur