DE SON VIVANT
Un drame puissant porté par l’impressionnant Benoît Magimel
Benjamin, professeur de théâtre, apprend qu’il est atteint d’un cancer du pancréas de stade 4. La question principale pour lui et sa mère devient alors celle du temps qu’il lui reste à vivre : deux ans, tout au mieux. Le temps d’être soigné par une équipe dévouée, de se préparer à l’injustice, de dire au revoir à ses élèves et à ses proches…
Ce fut sans doute la séance officielle du Festival de Cannes 2021, qui aura fait couler le plus de larmes, de nombreux spectateurs sortant terrassés de la projection. Pourtant d’autres films traitaient aussi cette année de la fin de vie, comme "Tout s'est bien passé" de François Ozon , sous l’angle de l'euthanasie et un André Dussollier victime d’AVC et plein d’un humour désespéré, ou "Vortex" de Gaspar Noé, sous l’angle glaçant de la perte d’autonomie. C’est avec un tact rare qu'Emmanuelle Bercot, déjà venue sur la Croisette en tant qu’actrice pour "Polisse" et "Mon roi" de Maïwenn, mais aussi comme réalisatrice avec "La Tête haute", aborde donc ce sujet difficile, cette fois-ci par le prisme de l’acceptation d’une inévitable mort.
En chapitrant son film par saisons (4 au total à partir de l’été), Emmanuelle Bercot choisit de donner à voir non seulement le cycle de la vie (elle termine donc par le printemps, synonyme de renaissance, ou ici d’accalmie), mais aussi le travail de médecins et infirmier(e)s, confrontés à un « pire » devenu presque habitude, face auquel la carapace qu’ils se sont construite vient parfois à se fissurer. Les débuts de chapitres, réunions de groupe au service de soins paliatifs se terminant en chanson, visent à montrer à la fois comment ils évacuent collectivement leurs craintes et leur manière de s’épauler collectivement. Le standard « Lean on me » (qu’on traduirait par « Repose-toi Sur Moi ») n’ouvre d’ailleurs pas ce cycle pour rien.
Essentiel à la compréhension de la situation de chacun des patients, à leur minimum de bien-être, et à un accompagnement non intrusif dans les décisions à prendre, le travail de ces hommes et femmes de l’ombre est ainsi rappelé de manière régulière, y compris au travers du casting, puisque le Docteur Sara jouant ici son propre rôle de cancérologue. Mais "De son vivant" est avant tout le portrait intime d’un fils et de sa mère, fâchés pour de sombres raisons, que la maladie va rapprocher malgré eux. Benoît Magimel incarne avec brio le fils, professeur de théâtre, refusant d’abord de savoir combien de temps il lui reste à vivre, utilisant ses leçons de théâtre comme autant de moments thérapeutiques, voire cathartiques, de l’exercice de l’étreinte comme adieu à celui de l’annonce de la disparition à venir. Des scènes écrites avec une incroyable finisse, qui vous submergent d’émotion dès le premier quart d’heure du film, et qui surtout, permettent au personnage principal de se préparer aux moments les plus difficiles.
Face à lui, Catherine Deneuve est une fois de plus impériale, bloquée dans le refus de la perte comme celui d’ouvrir les yeux sur son attitude passée. Devant gérer nombre de dilemmes et faire face à une fin inéluctable, les deux personnages vont aussi, devoir faire face à la famille, loin d’être convaincue du bien-fondé d’un ensemble de décisions qui n’appartiennent légitimement qu’au patient. Traitant au final de la question du pardon, sous plusieurs angles (vis à vis d’un fils jamais reconnu, ou d’une mère trop protectrice…), ce grand drame, qui aurait sans doute mérité de figurer en compétition à Cannes, utilise aussi à bon escient quelques chansons, tendant vers un apaisement synonyme d’acceptation : « Nothing compares to you » de Sinead O’Connor, et surtout au générique de fin, la sublime version de « Voyage Voyage » signée Soap & Skin. Une version lente et triste qui vous maintiendra cloué au siège, comme pour mieux accompagner votre, nécessairement feutrée, sortie d’une salle inondée d’émotion.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur