CLAIR-OBSCUR
Le contenant sans le contenu
En 1929 à New York, deux femmes noires, anciennes amies de lycée, sont suffisamment claires de peau pour pouvoir se faire passer pour blanches. Des complications vont naître à partir de ce subterfuge et des questions d’identités, dans une Amérique toujours gangrenée par le racisme…
Une actrice américaine qui devient réalisatrice : en la matière, le Festival Lumière 2021 aura fait un joli doublé. Après les débuts de Maggie Gyllenhaal derrière la caméra, c’est au tour de Rebecca Hall – actrice révélée chez Woody Allen et Ben Affleck – de se lancer dans un exercice de réalisation lui aussi intime, via l’adaptation détournée d’une œuvre littéraire. Le court roman de Nella Larsen partait d’un pitch peu commun : une femme métisse, au teint clair, se faisant passer pour blanche auprès de son époux. D’où son titre Passing (ici conservé en titre original) qui, loin de se limiter à souligner le passage d’une identité à l’autre, est une expression sociologique désignant la faculté d’un individu à intégrer un groupe social autre que le sien.
Visiblement motivée par des similitudes avec l’histoire de sa propre famille anglaise, Rebecca Hall s’empare du matériau avec deux partis pris en opposition radicale avec les canons visuels de notre époque : d’une part, un format 1.33 rattaché au cinéma de l’époque abordée, et d’autre part, un noir et blanc extrêmement pur et méticuleux, élaboré par le chef opérateur catalan Eduard Grau. Des partis pris qui, au vu du sujet, semblent aussi pertinents qu’intrigants. On ne s’attendait pas à ce que la force apparente du film devienne aussi vite son fardeau.
Il ne faut ainsi que cinq minutes à peine pour que ce filmage en noir et blanc trouve son raccordement volontairement ambigu avec ce récit d’usurpation raciale via la couleur de peau. Hélas, juste après, la question s’impose très vite : qu’est-ce que le film va avoir d’intéressant à raconter ? Disons que le film avance sans réussir à se fixer un cap ni à partir sur une hypothèse de récit susceptible d’élever le constat initial. Ni suspense ni tension particulière n’arrive à prendre racine à partir de cette usurpation identitaire, tandis que d’autres hypothèses narratives (sororité contrariée, jalousie sociale, soupçon d’adultère, love-story lesbienne, satire des castes bourgeoises, éducation des jeunes générations, auto-victimisation, communautarisme, etc…) sont ici lâchées en vrac, telles des miettes dispersées sur une nappe.
Au bout d’une demi-heure, Rebecca Hall finit par ne plus avoir quoi que ce soit à incarner ou à creuser, et tente même de le dissimuler par sa mise en scène à l’ancienne, comme si se prévaloir d’une peinture aiguë et concise des années 1920 avait quoi que ce soit d’imparable. Les deux actrices principales – Tessa Thompson et Ruth Negga – ne sont certes pas mises en cause, mais le film ne rend clairement pas justice à leurs prestations respectives. Au fond, peut-être que l’une des premières scènes – celle des retrouvailles chez l’une de deux héroïnes – aurait fait un formidable court-métrage. Sur une durée longue, le spectre de l’objet arty sans affect ni contenu étire trop son ombre au détriment de la lumière.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur